Apprendre que le tandem de cinéastes Éric Toledano et Olivier Nakache, très réputés barons de la comédie française, vont réaliser une fable écologiste sur un groupe militant inspiré d’Extinction Rebellion, a de quoi faire sursauter. Évoquer un sujet d’une importance contemporaine si capitale avec les manières qu’on connaît à ces deux réalisateurs ne rassure pas, encore moins lorsqu’on se penche sur le synopsis : deux quadragénaires surendettés, Albert (Pio Marmaï) et Bruno (Jonathan Cohen), s’immiscent à un groupe d’activistes écolos avec plusieurs objectifs en tête. S’il ne s’agit au départ que d’une simple solution d’infortune pour pouvoir grappiller de la nourriture facilement, la troupe devient vite un prétexte pour se faire de l’argent, puisque les deux filous profitent des interventions pour subtiliser du matériel et le revendre (et évidemment, dans la lourdeur habituelle des trames sans originalité, tenter de séduire une militante incarnée par Noémie Merlant).
Dichotomie d’univers très appréciée de la comédie française, deux milieux que tout oppose et doivent se mélanger malgré eux, parfois même contre leur volonté (Les Visiteurs, Le Dîner de cons, Intouchables des mêmes cinéastes) : Albert étant dépeint dans l’ouverture du film comme un consommateur frénétique, crachant sa haine sur les militant·es qui l’empêchent d’aller s’acheter un appareil en soldes, pour au final véritablement adhérer à leur cause par la suite. Mais que les invétéré·es se rassurent, « notre cinéma n’est pas militant ! », s’exclame à plusieurs reprises le duo en interview. Selon lui, il n’y a rien de plus qu’une candide volonté de faire rire malgré les sujets sensibles qu’il aborde, peut-être par peur de briser le lien qui les unit à leur public habituel. Deux constats alarmants : la peur d’assumer le film engagé ne présage pas un traitement raffiné des écologistes, et la futilité maladive avec laquelle les réalisateurs ont abordé leurs précédents récits n’améliore pas les craintes.
Le cinéma de Toledano et Nakache peut se définir comme un cinéma faussement consciencieux, qui apprécie être conforté dans sa vision télévisée des classes populaires, des luttes et des mouvements sociaux, soit une vision de surface, sans substance, où les clichés sont acceptés sans questionnements ni réflexions. Cela a toujours été l’immense point noir des deux cinéastes, malgré leur propension à faire des héros de leurs récits des personnages issus d’un milieu social modeste, mais qu’ils n’ont jamais été capables de représenter correctement. Une année difficile ne fait pas figure d’exception, les protagonistes comme les membres du collectif sont des caricatures bas-du-front, des simulacres de rôles que personne ne peut prendre au sérieux, étant donné que les cinéastes ne se donnent pas cette peine non plus.
Étrange choix qu’est celui d’articuler un long-métrage autour du militantisme écolo, pour au final ne jamais s’intéresser en profondeur à ses revendications. Tout ce qui compose l’assemblée d’activistes est sujet aux moqueries, des surnoms qu’iels se donnent pour préserver leur anonymat aux origines aristocratiques de certains membres. S’il est possible de dénicher de l’humour dans ces mouvements engagés, celui qu’utilisent Toledano et Nakache sert avant tout à établir des instants de bouffonnerie pure, désintéressés, et n’est qu’un procédé narratif ramenant le sujet de la lutte pour la survie de la planète à un simple prétexte.
Une année difficile manque cruellement d’un regard de metteur en scène, rien n’est juste ni humain, tout n’est qu’objet-fonction fracturant la sincérité et laissant place au cynisme. Le film ne nous montre pas des activistesmais des images d’activistes construites sur des idées reçues comme l’est toute la galerie de personnages du duo, des pantins pas plus profonds qu’un texte descriptif. Au mieux amusants dans leurs maladresses, au pire archétypaux à l’extrême (le personnage de Noémie Merlant qui n’existe que pour faire envier les hommes autour d’elle). On ne croit pas en leur existence autant qu’à leurs péripéties d’un convenu navrant.
Le film de Tolédano et Nakache ne pense pas. Jamais aucune réflexion sur le militantisme, l’écologie, la précarité, le capitalisme ou l’individualisme n’est amenée. Tous ces sujets ne prennent place que pour décorer une histoire, à la limite pour soutenir des séquences visuelles pauvres sujettes à des réflexions infantiles, comme l’introduction où les zombies du consumérisme se ruent au ralenti sur les promotions du Black Friday. S’incorpore la subtilité pachydermique des choix musicaux, dans le cas précédemment cité : La valse à mille temps de Jacques Brel, appui symbolique grossier que l’on retrouve lors de la dernière action dans un aéroport, où c’est le The end des Doors qui résonne. C’est bel et bien la fin, du récit à l’annonce du climax, mais également des ambitions visuelles des deux cinéastes qui, décidément dévolus à ne rien bousculer, se laissent aller aux facéties des imageries faciles. Après cette séquence faussement frénétique esthétisée à outrance par des fumigènes de couleur, intervient le final saveur comédie musicale, où tout parisien s’est reclus chez soi avant de sortir applaudir par la fenêtre. Le monde diégétique semble avoir compris un message qui n’est perceptible nulle part dans le récit qui, pris au dépourvu par son manque de consistance, n’a d’autres choix que de forcer la main en une conclusion linéaire.
Une année difficile est ce qu’il proclame être : une œuvre de façade où ne règne aucune authenticité, dépouillant de son intérêt des sujets de société pour n’en retenir qu’un vulgaire emploi dramaturgique recyclé en boucle. Compassion forcée, échec du discours social convainquant, purée narrative au goût de déjà-vu, le duo ne se renouvelle pas, et la volonté inconsistante de ne vouloir rien d’autre que faire rire ou pleurer a vidé, comble de la tragédie, le film de son essence cinématographique. Ne subsiste qu’un semblant de sketch désincarné, sans mise en scène pour le faire tenir debout, sans vision artistique ou politique, une coquille sans contenu et fière de l’être.
Une année difficile, écrit et réalisé par Éric Toledano et Olivier Nakache. Avec Pio Marmaï, Noémie Merlant, Jonathan Cohen… 1h58
Sorti le 18 octobre 2023