[CRITIQUE] Le Procès Goldman : Une guérilla politique

Le film de procès a le vent en poupe en France. Aux côtés d’Anatomie d’une chute de Justine Triet, Le Procès Goldman démontre une maîtrise chirurgicale du genre. Il est agréable d’observer que les deux films cohabitent très bien ensemble et se révèlent complémentaires dans l’intention de ne pas faire du verdict judiciaire le premier enjeu scénaristique. Le procès y est un terrain de jeu, un prétexte pour y développer en profondeur des thèmes et des sujets plus intéressants. À l’inverse de Justine Triet, Cédric Kahn retrace un événement ayant réellement eu lieu, celui du deuxième procès de Pierre Goldman condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes.

C’est une prouesse de réussir à donner une telle intensité à un film qui aurait pu se limiter à une vulgaire imitation de la véritable audience. On évite un didactisme ennuyeux du procès historique pour s’intéresser à un enjeu politique d’une complexité folle. Le ton est donné dès l’ouverture. Pierre Goldman est d’abord présenté à travers une lettre manifestant une certaine défiance pour son avocat, et exprime très vite un vocabulaire manichéen en distinguant l’allié de l’ennemi. Il ne veut plus être représenté par Georges Kiejman car il le pense contre lui, étant donné que le premier procès a été perdu et que celui en appel a été obtenu uniquement grâce au livre qu’il a écrit en prison. Ce premier échange entre les deux avocats traduit le caractère incontrôlable de Goldman et nous met à distance de ce dernier pour que notre partialité n’altère pas le propos. Notre manière d’appréhender les témoignages change drastiquement selon notre propre implication émotionnelle envers l’accusé : elle est ainsi dirigée par notre sympathie, notre fascination, ou notre rejet. Or, il est ici question d’un appel à la raison. 

Ad vitam

La direction d’acteur est une réussite totale : Arieh Worthalter impressionne en Pierre Goldman dont il exacerbe à la fois une certaine brutalité et sensibilité. Chacune de ses interventions est une déflagration qui s’oppose à la verve sans faille de Nicolas Briançon, qui interprète Maître Garaud. Arthur Harari, co-scénariste du film de Justine Triet, interprète Georges Kiejman avec une justesse terrible en personnage canalisateur. Tout semble explosif et dans cette unité de lieu, tout – chaque séquence, chaque réplique – semble parfaitement ciselé pour donner le récit de la vie de Goldman. Jamais illustrée concrètement, elle n’est qu’images mentales, existant à partir des mots du juge, de Goldman lui-même et de son entourage. Deux questions s’imposent : est-il, ou a-t-il jamais été capable de tuer ? Si oui, y a-t-il un élément déclencheur à cela ? Entre le public, les jurés, le juge ainsi que les deux parties, les réponses différentes fusent dans ce qui s’apparente à une pièce de théâtre où tout semble fou ; les témoignages se contredisent, et le bouillonnement des oppositions politiques fait rage. 

Ad vitam

Cédric Kahn voit la cour comme un savant mélange entre un puzzle et un échiquier géant, ce que traduit sa mise en scène tout en jeu avec l’espace. Un gimmick revient d’ailleurs plusieurs fois, quand on voit un témoin au premier plan et Goldman derrière comme pour donner au premier un rôle de narrateur indirect de la vie du second. Le passé de l’accusé est constamment rappelé : il se rêve révolutionnaire, étant même allé au Vénézuela pour mener les guérillas, et il fantasme la vie de son père comme un but à atteindre alors qu’il devient bandit. À ce titre, le charisme magnétique d’Arieh Worthalter fait honneur à celui dont il endosse le rôle, idem pour les talents d’orateur et d’écrivain qu’il transmet aisément. Ce faisant, le film questionne son innocence en même temps qu’il révèle une institution judiciaire branlante tandis que le racisme des témoins et le laxisme procédural de la police ne sont pas en reste. Cédric Kahn ne s’en tient pas au seul procès mais a l’ambition de montrer comment la dimension politique peut altérer le jugement d’une personnalité. 

Par son écriture aux allures documentaire, Le Procès Goldman s’échappe de tout ça et s’avère être une œuvre nerveuse et prenante. Il n’est pas question de savoir si ce dernier est coupable ou non, mais comment la culpabilité d’un accusé est amenée. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une des grandes surprises au cinéma cette année. 

Le procès Goldman, de Cédric Kahn. Écrit par Nathalie Hertzberg et Cédric Kahn. Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié… 1h56
Sortie le 27 Septembre 2023

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