Ce qu’on aime le plus ici, c’est lorsque le cinéma français prend des risques et nous propose quelque chose d’osé et différent. Stéphan Castang a de quoi combler toutes nos attentes sur papier. Encore plus lorsqu’il est venu présenter son film à la Semaine de la critique en utilisant les termes “film fantastique, comédie noire, film de zombie”. Qui a dit que le cinéma français n’était pas inventif ?
Vincent vit jusque là une vie tout à fait normale de graphiste designer jusqu’au jour où, sans aucune raison, il se fait violemment agresser à coup d’ordinateur portable par le stagiaire. Une mésaventure qui se répète rapidement avec un autre de ses collègues qui s’acharne sur son bras à l’aide d’un stylo. Si ces deux attaques incompréhensibles bouleversent Vincent, ce n’est que le début d’une longue escalade de violence. Désormais, quiconque croise son regard a une irrépressible envie de le tuer. Comment s’en sortir lorsque le monde entier veut votre mort ?

Si le film a bien une qualité qu’il réussit à exploiter jusqu’au bout, c’est son mélange des genres. Dès les premières minutes, il nous plonge dans son action, nous mettant au même niveau que le personnage principal qui essaie de comprendre pourquoi on vient de l’attaquer si violemment. Est-ce parce que le stagiaire était en manque de considération ? Est-ce que Vincent l’aurait mal regardé ? Malgré cette mésaventure, ce dernier revient au travail comme si de rien n’était. Il n’a rien d’un héros, il est banal, typiquement le genre de personne sur qui on ne se retournerait pas. Et pourtant, en un claquement de doigt, toute l’attention est tournée vers lui. Là où film se faisait comédie, il devient une lutte pour sa survie. Vincent essaie de rassembler des preuves pour comprendre ce qui provoque cet excès de colère, trouve d’autres personnes à qui en parler qui ont le même problème. Elles sont une poignée en France mais elles non plus ne savent pas d’où peut provenir ce problème.
Il est évident que le film dénonce la banalisation de la violence (notamment à travers les réseaux sociaux) et l’intensité avec laquelle elle s’exerce. Le réalisateur utilise justement ce sujet pour transformer son long-métrage en quelque chose de drôlement jubilatoire. Si l’on condamne cette violence, on s’en délecte drôlement tant tout est poussif. Tout le monde en prend pour son grade, les jeunes comme les moins jeunes. Les mises à mort sont plutôt inventives et certaines scènes sont bien mises en scène comme l’attaque de tout un supermarché à la manière d’une attaque de zombies en quête de chair fraîche.

Mais dans tout ce chaos environnant, le film décide de se poser un instant. Vincent a-t-il droit au bonheur ou est-il condamné à fuir toute sa vie ? C’est à ce moment qu’intervient Margaux, serveuse dans un restaurant où Vincent a l’habitude de commander. Quelque chose se crée entre elleux et ce lien devient encore plus fort dès qu’elle réalise ce qui arrive à Vincent. Elle restera avec lui coûte que coûte, quitte à se menotter pour éviter de lui faire du mal. Vincent peut également compter sur un SDF à qui il arrive la même chose pour trouver une oreille attentive et compréhensive. Dans tout ce chaos, ce sont encore une fois les marginaux·nales qui offrent une certaine sécurité. Si le film excelle autant, c’est avant tout grâce à son duo de tête, Karim Leklou en premier. Son physique imposant dégage à la fois quelque chose de rassurant mais aussi d’inquiétant dès qu’il se défend. Ses expressions du visage sont telles qu’il excelle à faire passer Vincent pour une “victime”, quelqu’un d’incrédule sur qui tombent toutes les misères du monde. À ses côtés, la magnétique Vimala Pons nous offre une Margaux beaucoup plus sûre d’elle, prête à en découdre et à se battre pour celui qu’elle aime.
Le seul regret qu’on peut avoir concernant le film de Stéphan Castang, c’est qu’il n’ait pas gardé son concept jusqu’au bout. Toute la première partie du film se concentre sur Vincent (puis sur Vincent et Margaux) et sa survie dans un monde devenu totalement timbré, mais sa seconde partie prend des chemins qui sont déjà un peu plus tracés. Sans perdre tout son talent, il ouvre son récit vers quelque chose de plus global – ce “virus” touche n’importe qui et tout le monde commence à se taper sur la gueule – qui est pour le coup moins original et moins séduisant.
Pour un premier long-métrage, Stéphan Castang s’inscrit d’ores et déjà parmi les réalisateur·ices qu’il faudra suivre de très près. Avec son univers singulier, il fait de Vincent doit mourir une proposition osée et exaltante. L’occasion, encore une fois, de nous rappeler que le cinéma français sait faire de très belles choses à partir du moment où on lui laisse la place de s’exprimer.
Vincent doit mourir réalisé par Stéphan Castang. Écrit par Mathieu Naert. Avec Karim Leklou, Vimala Pons, François Chattot… 1h48