Depuis 1977, seulement 16 femmes ont été condamnées à mort – la dernière remonte au 30 septembre 2015 – sur les 1481 exécutions réalisées aux Etats-Unis. Un nombre peu conséquent finalement mais une sentence ultime qui a des répercussions sur ces quelques femmes et leur entourage. À travers neuf vignettes, neuf portraits de femmes dans le couloir de la mort, la réalisatrice Hagar Ben Asher cherche un peu d’humanité dans les tréfonds les plus sombres de l’être humain et de ce qu’il est capable de faire dans un élan de folie. Sans juger ni même leur chercher des excuses, la réalisatrice s’attarde avant tout sur ces femmes, leur famille, leurs amis mais également ceux qui travaillent là-bas et qui côtoient la mort de près ou de loin tous les jours.
Le film commence avec Donna, forte tête qui n’en a que faire des conseils de son avocat qui lui recommande de ne pas sourire alors qu’elle fait la une d’un magazine avec en gros titre “Le sourire d’une meurtrière”. Bien décidée à n’en faire qu’à sa tête, Donna sourit une nouvelle fois aux journalistes. Pleurer ? Elle ne pleure pour personne, jusqu’à ce qu’elle croise son fils dans la salle d’audience alors qu’elle avait tout fait pour que son fils l’oublie et pense qu’elle est décédée. Premier coup de poing dans la tronche pour le spectateur, les larmes de Donna alors qu’elle quitte la salle d’audience et qu’on lui a refusé une nouvelle fois sa demande de grâce. Juste après un encart noir avec son prénom : “Donna. Condamnée pour le meurtre de son mari et de ses parents”. La compassion qu’on avait quelques minutes avant pour elle est toujours là même si une infime partie de nous comprend pourquoi elle se retrouve là.
Et c’est ainsi qu’Hagar Ben Asher marche sur ce fil tendu tout au long du film entre compassion pour ces femmes aux portes de la mort et réalité des charges bien trop lourdes pour ne pas être condamnées. Certaines vignettes apparaissent plus faibles que d’autres ou jouent sur d’autres tableaux que l’émotion mais s’il fallait retenir deux portraits ce serait celui de Wendy, dévastée alors qu’elle réalise que sa famille ne viendra pas. Dire qu’elle avait expressément marqué sur son habit “I love mum”. Une lueur d’humanité traverse les gardiens qui lui laisse jouer aux cartes avec son ami une dernière fois. Rires, chamailleries, tricheries, une dernière fois profiter de ce semblant de liberté avant des adieux déchirants. Wendy a été condamnée pour avoir tué son mari et son bébé.
Le portrait d’Helen est probablement celui le plus intense émotionnellement parlant lorsqu’elle rencontre pour la première fois son fils – dont elle a accouché en prison – et qui a désormais 18 ans. Une rencontre forte, un moment de rédemption, d’apaisement et d’amour entre un fils et une mère qui ne s’étaient jamais rencontré et qui ne se reverront jamais. Elle ne l’a jamais oublié, elle l’a imaginé des centaines de fois dans sa tête, elle l’a dessiné et lui a écrit des lettres. Tout en pudeur et en retenu, cette scène nous tire plus de larmes que ce ne serait permis. Helen est condamnée pour avoir tué un couple et leur bébé.
Hagar Ben Asher ne cherche pas à pardonner ces condamnées à mort. On ne tue pas des gens au hasard, on n’étrangle pas la personne qu’on aime mais à quelques heures de la mort est-ce que la rédemption ne serait pas possible ? La réalisatrice questionne des passants sur la peine de mort. Question sujet à bien des débats. Faut-il tuer ceux qui ont tué ? Faut-il leur faire subir la même chose ? Mettre à mort un meurtrier ne reviendrait-il pas à devenir soi-même un meurtrier ? Le film n’apporte pas de réponses, le film n’en cherche pas. Tout ce qu’on peut apprécier c’est la sincérité et l’humanité qui s’en dégage, la rédemption que ces femmes essaient de trouver, l’humanité de ces gardiens qui sont les derniers à être auprès d’eux avant la fin et ces quelques personnes qui essaient de leur adoucir le quotidien ne serait-ce que par une main tendue, une cigarette, un sourire… Et si, comme disait le prêtre interrogé, la peine de mort n’était qu’une astuce de la société pour se débarrasser de ceux qui dont elle ne voulait plus.
La réalisatrice israélienne réalise là un long-métrage d’une intelligence rare, sur un sujet finalement peu évoqué avec une extrême pudeur sans jamais prendre parti pour nous compter neuf destins aussi émouvants les uns que les autres et qui fait avant tout appel à notre capacité de compréhension face à des vies brisées – loin de nous l’idée de pardonner leurs actes atroces mais comprendre ce qui a pu provoquer ça -. “Dead Women Walking” est un bouleversant documentaire où s’entremêlent violence et humanité avec retenue et élégance.
Dead Women Walking de Hagar Ben Asher. Avec June Carryl, Ben Zevelansky, Joy Nash… 1h41