[CRITIQUE] Kajillionaire : Family business

Le Japon a Kore-Eda et son Affaire De Famille, la Corée a Bong et son Parasite, les États-Unis ont Miranda July et son étrange Kajillionaire. Le point commun de ces films aux abords différents ? Ces familles de galériens vivant de petits larcins et autres arnaques. À l’instar des œuvres précédemment citées, Kajillionaire joue de son ton léger, de sa maîtrise des codes de la comédie pour cacher derrière ses couches d’hilarité un véritable drame humain.

Devant le centre de tri de la poste, les Dyne attendent patiemment l’heure fatidique pour opérer leur stratagème. Dès que la rue est vide, c’est la jeune Old Dolio qui effectue sa chorégraphie, le parcours d’obstacles pour lui faire éviter les caméras, et pouvoir atteindre les artefacts convoités. Le but : voler le courrier du jour, récupérer un butin et des objets que le trio pourra revendre. On les voit passer de larcin en larcin, menant souvent à des désillusions où Robert, le patriarche, doit réfléchir à une solution de secours, toujours plus exagérée. L’arrivée, pendant une opération, de Melanie, qui s’incruste dans cet univers à part, bouleverse totalement cet équilibre précaire, particulièrement Old Dolio, qui se découvre une attirance pour la jeune femme et s’interroge sur son existence.

Tout en conservant la légèreté, le décalage, propres au monde de cette famille atypique, une dimension dramatique s’installe à mesure que ces deux jeunes filles, aux éducations diamétralement opposées, se confrontent. L’occasion de voir que la véritable arnaque, le crime parfait, est l’existence même d’Old Dolio. Jusqu’à son nom, choisi pour compléter un schéma d’arnaque à l’héritage, elle a été conçue et conditionnée par ses parents pour être l’atout parfait à chaque machination. Débrouillarde de ses mains, manipulatrice dans la négoce, ses capacités n’ont d’égales que son incapacité à comprendre le monde qui l’entoure. Melanie, fille « normale » dans ses aspirations, lui apparaît comme un ovni, le décalage face à sa réalité conditionnée. À l’image de ce mur qui se recouvre quotidiennement de mousse, et que la famille doit venir éponger à heure fixe sous peine de voir leur immeuble s’effondrer, Old Dolio se laisse submerger par ses questionnements. Départ dans un récit d’émancipation hors-norme, où sa libération du gouffre parental se marie avec sa découverte d’une réalité plus simple, où jeunesse peut s’établir.

Inutile de dire qu’Evan Rachel Wood tient le métrage sur ses épaules. Plaisir que de la voir dans un rôle hors norme qui lui demande un jeu précis et subtil, à l’image de ses comparses, Richard Jenkins en tête. Tant dans son rôle d’une froideur équivoque que dans les premiers émois de la romance proposée, qui retrouve les tonalités d’un Punch-Drunk-Love sous acides.

Kajillionaire est une proposition de cinéma clivante, bienvenue dans une sélection qui habituellement joue d’ultra-réalisme. Un métrage hors des sentiers battus, qui se plaît à être différent, mais traite de l’humain et sa complexité de la meilleure des manières.

Kajillionaire de Miranda July. Avec Evan Rachel Wood, Richard Jenkins, Debra Winger… 1h46
Sortie le 30 septembre

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