Dans les portraits humains marquants, les récits de rédemption font foison. Avec Lorelei, présenté en compétition à Deauville, Sabrina Doyle se fait la conteuse de l’aventure croisée de deux âmes torturées, dont la rencontre permet l’explosion, et l’avancée.
Wayland sort de quinze ans de prison. Quinze ans de silence, durant lesquels il n’a pas dit mot quant aux agissements de ses complices, lui valant le respect de ces derniers, et la garantie qu’il retrouvera sa “famille” de bikers à la sortie du trou. Dans une ville où les opportunités se font rares, il est pris en charge par la pasteure du coin, et contraint de travailler à la décharge locale. Ce n’est que par hasard qu’il retrouve Dolores, son amour de jeunesse, et avec elle ses ambitions d’antan. Mais trop d’éléments pour un esprit en quête de reprise, la jeune femme a également fait son bout de chemin quinze ans durant, pendant lesquels elle a également fait des erreurs, laissée face à elle-même bien trop longtemps. Trois enfants plus tard, c’est une femme fatiguée, qui cache ses névroses derrière une énergie surabondante, que Wayland découvre. Colosse fragile au besoin d’équilibre, il s’intègre pourtant à cette famille dysfonctionnelle, s’improvise père de substitution, et tente d’avancer à leurs côtés.
On comprend rapidement que Wayland devienne un élément essentiel pour Dolores. Bien plus calme que celle qui s’éparpille partout de manière drastique, il convient d’un sens des responsabilités plus accru, recherche constamment à être juste, à l’image de la caméra de Sabrina Doyle qui nous montre ce joyeux bordel sans jamais en faire des caisses, malgré les nombreuses tentations. À mesure que sa place se démontre, sa présence demeure mais son rôle s’amenuise, pour se transformer en observateur, spectateur du véritable portrait d’émancipation qui nous est présenté ici, celui de Dolores. L’adolescente éternelle, mère de trois enfants, qui a sacrifié sa vie et ses rêves pour assumer des rôles bien trop importants pour son jeune âge. Sans jamais regretter ses actions, ou vouloir repartir en arrière, renier ses enfants, elle est en ébullition, en constante demande de ces frissons qu’elle n’a jamais vécu. Retrouver celui avec qui elle magnifiait ses fantasmes quand elle n’était qu’une gamine la pousse plus encore au bord du précipice. La bulle explose, les questionnements se font, et celui qui vient la retrouver peut aussi assumer ses absences, rattraper un temps perdu où elle a du assumer seule des responsabilités trop importantes, tandis qu’elle se permet enfin d’exister pour autre chose que ses fardeaux.

On y voit la dualité. Celle de Wayland, qui réalise que cette nouvelle vie est difficile à assumer sans un certain confort, le faisant observer du coin de l’œil ses anciennes opportunités criminelles, et le cercle vicieux qui peut en découler. Il ne suffit d’ailleurs que d’une scène, où un éventail de choix s’offre à lui, pour le faire reculer et lui faire comprendre que cette voie-là n’est que synonyme d’embûches. Celle de Dolores, taraudée par ses rêves, qui réalise que ses accomplissements en tant que mère n’ont pas été facteurs d’épanouissement, et que l’amour qu’elle porte à ses marmots ne suffit, tant elle doit aussi exister pour elle. C’est là que se dressent les trois enfants, qui prennent les choses en main. Ayant bien plus conscience de la situation qu’iels ne le laissent paraître au premier abord, et elleux aussi en proie à des dilemmes personnels, iels deviennent décisionnaires du destin de ces deux âmes hors de tous repères, et influent sur leurs choix. Dans ces contextes familiaux perturbés et complexes, ce n’est qu’en s’unissant que l’on traverse les épreuves.
Si Sabrina Doyle prend son temps, jamais ce dernier ne nous semble long. Preuve en est par une intrigue riche, qui a beaucoup de choses à mettre en place, et par l’attachement constant aux personnages. Les prestations, notamment celle de Jena Malone, y sont pour beaucoup, dans un film où la justesse d’écriture se mêle à une direction d’acteur·ices précise, par une réalisatrice qui a parfaitement compris son sujet. Un sujet fort, mais qui parvient à conserver un ton léger, des moments d’éclats où les rires se mêlent à la tristesse, pour mieux nous emporter, et nous bouleverser. Jamais loin de l’onirique par des phases métaphoriques qui ne sont jamais teintées de lourdeur, le film se fait le défenseur des rêves, de ces gens oubliés qui survivent mais ont aussi le droit, tout simplement, de vivre.
Lorelei, de Sabrina Doyle. Avec Pablo Schreiber, Jena Malone, Amelia Borgerding… 1h51
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