En plus de la sélection officielle, des films de Cannes et d’Annecy, le Festival de Deauville nous propose chaque année une très belle sélection de documentaires que ce soit sur le cinéma (Kubrick par Kubrick), de grandes figures américaines (Billie) ou avec un aspect plus social (Weed & Wine). À cette occasion, nous avons pu découvrir The Last Hillbilly de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe avec qui nous avons pu échanger quelques mots. Rencontre.
Un Hillbilly est une surnom péjoratif donné à certains habitants des Appaches et notamment ceux vivant dans des contrées assez reculées. La traduction la plus éloquente serait “plouc” ou “péquenaud”, des gens peu cultivés et éduqués. Pourtant, lorsqu’on écoute Brian lire son poème dans la scène d’introduction, on se dit que ces Hillbillies ont l’air plus intelligents qu’on ne veut bien nous faire croire. À travers ses mots, son histoire et sa famille, Brian va se faire porte-parole d’un pays dans le déclin. Ce sont d’ailleurs ces mêmes mots qui ont touché Diane Sara Bouzgarrou qui était alors prête à tout pour réaliser un film avec lui : “Brian est un personnage, on sentait qu’il y avait une histoire derrière. Il a une façon de penser le monde. C’est un homme habité par son territoire qui, au fur et à mesure de son histoire, se rend compte des enjeux“. De son côté Thomas Jenkoe voulait explorer l’aspect plus social des Hillbillies en général. Les deux idées se sont complétées pour ce duo de cinéastes qui est également un couple à la ville.
Développer une pensée commune dans deux cerveaux. Beaucoup de discussions en amont et une répartition des tâches.
Un travail de documentaire à deux qui a débuté lorsqu’ils ont rencontré Brian par hasard en 2013 dans un dîner au bord de la route. De là est née une forte amitié qui a poussé le couple à en savoir plus sur ce singulier personnage. Un personnage qui prend toute la place dans le film par son franc parler mais également par l’obscurité qui l’habite et qui le bouffe année après année. Une solitude qu’il exprime à travers de magnifiques poèmes qui parsèment le film. Des poèmes que même sa famille ne connaît pas. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment quelqu’un d’une communauté si repliée sur elle-même est enclin à laisser une vraie liberté aux cinéastes : “Ça a été un moment important pour lui. Il était assez friand de tout, c’est lui qui est venu nous chercher. On avait une relation de confiance qui fait qu’il nous a laissé faire tout en étant impliqué dès qu’on lui demandait des textes il le faisait.“.

Lorsque le film commence, on sent qu’il ne rentrera pas dans les carcans du documentaire classique : “Avec Thomas [Jenkoe] on aime la zone floue entre le documentaire et ce qui peut faire passer le film pour de la fiction.”. La scène d’ouverture filmée au téléphone d’un cerf à l’agonie nous donne déjà le ton film, et il est loin d’être joyeux. Le monde va mal, l’Amérique va mal et les premières personnes touchées sont celles qui vivent reculées de tout, oubliées et à qui l’accès au travail, au logement ou à l’éducation relèvent d’une mission impossible. Alors ils vivent au jour le jour et deux générations s’affrontent.
“En choisissant ce territoire on savait que l’Amérique est l’avant-garde de tout. Tout ce qui se passe là-bas anticipe ce qui arrivera dans le reste du monde. Dans ce coin particulier il y avait déjà un processus de désagrégation : misère sociale, disparition des mines, élection de Trump…”
Celle du père qui, désabusé par la vie, ne voit pas d’avenir possible pour ses enfants. À travers une scène très forte autour d’un feu de camp, il leur dit de manière très directe que le monde est pourri et qu’il le restera toujours. Ce pessimisme ne semble pas affecter les enfants qui ont toujours cette lueur d’espoir. Le film se découpe en trois parties distinctes avec chacune un titre : Under the family tree qui évoque l’héritage familial, The Wasteland sur les autres personnes qui vivent dans cette communauté et comment ils font face à cet avenir incertain puis enfin Land of Tomorrow qui évoque la jeunesse et la prochaine génération qui y croit encore et lance un gros “fuck” au reste du monde. Thomas Jenkoe nous explique : “Pour moi c’est un pessimisme joyeux dans la mesure où quelque chose finit, quelque chose d’autre naît. Le début est sur la mort au travail mais on conclut sur ce qui pourrait se passer après. On veut pas forcément tirer une conclusion négative, il y a toujours quelque chose à inventer d’où les séquences des enfants. Ils ont une pulsion de vie alors que l’univers pourrit autour d’eux“. Le tout est sublimé par les paroles de Brian mais également un travail sonore qui résonne comme un aspect de fin du monde en y incorporant des influences folklores plus typiques du coin. On dénote aussi une photographie sublime qui appuie encore plus le propos avec un travail sur les couleurs froides dans un premier temps avant de basculer de temps en temps vers des tons plus chauds et plus lumineux.
Selon les dires des cinéastes, il n’est pas impossible qu’on voit arriver un jour un film avec Brian en tête d’affiche. Cette force de la nature porte ce documentaire avec une nostalgie touchante. Visage d’une Amérique qui se veut aussi visage d’un monde qui va de plus en plus mal, The Last Hillblilly offre avant tout un autre regard sur ces gens stéréotypés depuis bien trop d’années.
The Last Hillbilly de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe. 1h20
Sortie en décembre