Un homme, une plage et l’immensité de la mer à l’horizon. Le dos tourné, Manuel Lopez-Vidal (interprété par l’immense Antonio de la Torre) semble penser à un avenir radieux qu’il n’atteindra jamais. Cachant son visage, son bouillonnement intérieur est transmis par la mise en scène, relais sensitif de ses émotions. Musique électronique cadencée et caméra immersive suivant les déplacements du politicien à travers le décor en un plan-séquence, Sorogoyen livre son point de vue. Suivre l’homme derrière le scandale pour se focaliser sur sa quête irraisonnée, le menant inévitablement à sa chute.
El Reino évoque la vie d’un homme politique sur le point d’accéder à un poste haut placé, devenant la tête de bourrique de son propre parti corrompu pour avoir trempé dans des affaires de corruption. Et, par pure cupidité, fait bouger ciel et terre pour emporter dans sa chute ses soi-disant amis. C’est au moment où la caméra se fixe sur ce personnage que le spectateur le suit physiquement et psychologiquement. Les rythmiques sonores d’Olivier Arson, compositeur du cinéaste depuis Que dios nos perdone, rendent palpable la pression permanente sous laquelle il se trouve. Le cinéaste espagnol se demande comment adopter le point de vue d’un être antipathique. Celui d’un politicien véreux mais aussi d’un homme avec ses failles qui cherche, par-delà sa quête revendicatrice, à prouver qu’il n’est certainement pas le dernier à commettre ce genre d’actes. Au contraire de nombreux thrillers politiques, Sorogoyen ne se place pas du côté des “gentils” journalistes en quête de vérité. À l’inverse, il prend le point de vue de figures controversées, comme il le fait dans sa minisérie Antidisturbios dépeignant le cas des CRS.

Pour rendre son propos universel, le metteur en scène ne cite aucun nom ni parti politique. Le métrage devient d’autant plus signifiant, reflet d’une hypocrisie mondiale qui expose les failles de notre système gouvernemental. Au-delà de tirer la sonnette d’alarme, il évoque un système politique vieillissant avalant ses propres pions. Car Manuel Vidal n’est qu’un rouage dans la machine, tout aussi emprisonné d’un système qui existait avant lui et qui continuera après sa mort. La caméra transmet sa situation, l’enfermant derrière des vitres, des parois et le barricade au sein de la temporalité des plans. Que cela soit en rythmant son montage ou en laissant le temps à la caméra de suivre les mouvements sans coupure. Un sentiment d’oppression claustrophobique garde le film sur une dynamique au bord de la crise cardiaque.
Vidal court, crie, se cache, son corps est en constant mouvement et la caméra nerveuse du cinéaste espagnol en filme les moindres faits et gestes avec rigueur. Le plan-séquence magistral de l’appartement n’advient jamais comme un gimmick en se mettant au service de la tension dramatique pour pleinement faire vivre les événements. Finement mis en place au sein du récit, ce coup d’éclat de mise en scène ne vient pourtant pas dérégler le rythme et, au contraire, provoque une montée en puissance.
Sorogoyen conclut par un face-à-face final qui rappelle la maestria de l’usage des champs-contre champs dans le cinéma de Paul Thomas Anderson ou Jonathan Demme. Ce type de confrontation rejetant le manichéisme au profit d’un combat idéologique où les cinéastes poussent jusqu’au point de rupture les personnages. Ici, le réalisateur ne prend pas parti pour laisser autant de moments de flamboyance dans les deux camps. Leurs propos sont autant dans la dénonciation nécessaire que dans la pitoyable démonstration de leurs qualités de locuteurs. Cherchant à se rabaisser pour la caméra, plus seulement celle du réalisateur mais aussi du show télévisé. La conclusion laisse les problématiques en suspens, troublant le spectateur face aux réflexions que soulève le métrage. L’ambiguïté qui caractérise l’écriture d’Isabel Peña et Rodrigo Sorogoyen fait de ses personnages des figures complexes, impossible à détester tant ils trouvent un juste milieu pour les caractériser en tant qu’humains malgré leurs hypocrisies.
Bien que le métrage puisse vite perdre dans sa première partie en nous faisant rentrer dans ce monde politique complexe et vertigineux. El Reino réussit le pari d’allier un thriller politique nerveux a un portrait psychologique, constat puissant des structures gouvernementales occidentales.
El Reino, de Rodrigo Sorogoyen. Avec Antonio de la Torre, Luis Zahera, Bárbara Lennie, … 2h12.
Sorti le 17 Avril 2019
[…] Sorogoyen est un auteur-réalisateur important en Espagne. Après l’énorme succès critique d’El Reino en 2018 (7 Goya dont meilleur réalisateur) et le semi-échec de Madre en 2020 (malgré une […]
[…] Sorogoyen, qui sort de deux thrillers, l’un policier (Que Dios nos perdone), l’autre politique (El Reino), relève ce défi pour son troisième long-métrage, Madre. Se basant sur un court qu’il a […]