Cinq années après l’affaire The Last Face, Thierry Frémaux offre à Sean Penn le cadeau (empoisonné ?) d’un retour au Festival de Cannes par la grande porte : la Sélection officielle en compétition. En quelques mots, The Last Face fut l’une des pires séances cannoises des dix dernières années : un accueil glacial, une salle de cinéma se vidant au fur et à mesure de la projection, des huées pendant et après le film, des critiques cinglantes… Ce retour du réalisateur sur les lieux de la mort prématurée de son dernier film tient autant du courage à toute épreuve que du masochisme le plus complet.
Exit le couple d’acteurs populaire sublimant les supports publicitaires, Sean Penn fait de Flag Day une affaire de famille. Pour la première fois de sa carrière, le réalisateur américain se vêtit de la double casquette et interprète également le rôle masculin principal de l’un de ses long-métrages. Concernant le premier rôle féminin, il s’accompagne de sa propre fille, Dylan Penn. Au sein de Flag Day, ils y interprètent respectivement John et Jennifer Vogel, un père hors la loi et sa fille, une jeune femme qui essaye de passer outre ses tourments familiaux afin de suivre son rêve : devenir journaliste. Apparait également dans le film Hopper Penn, fils du réalisateur, ayant déjà fait une apparition dans The Last Face.
Histoire vraie tirée du livre autobiographique Film-Flam Man: The True Story Of My Father’s Counterfeit Life de Jennifer Vogel, Flag Day ne répond finalement jamais aux attentes suscitées de par sa sélection cannoise. L’un des intérêts principaux du film réside dans cette symbiose créée autour des trois membres de la famille. À travers l’écran, il nous est possible de ressentir que la famille Penn n’en soit pas une uniquement durant le temps défini par l’objet film. Une forme pure de délicatesse, de tendresse, ressort des séquences où Sean et Dylan Penn se retrouvent l’un face à l’autre, isolés de toute autre présence. Cette mise en abîme de la famille, même si réussie grâce à la manière intimiste avec laquelle elle nous est présentée, ne mène cependant à rien de concret.
Le film est effectivement un enchainement de tableaux, une représentation de fragments de vie entre un père et sa fille, dans laquelle apparait également le fils quand celui-ci n’est pas oublié par le réalisateur. Cette succession d’événements hors de toute chronologie est cependant totalement vaine et la poésie que celle-ci est censée représenter est altérée par le manque d’implication des acteurs dans leur rôle respectif. Il est même ici presque discernable que les acteurs ne souhaitaient pas jouer dans le film, Dylan Penn ayant refusé une première fois le rôle offert par son père et Sean Penn ayant lui-même tout d’abord proposé le personnage de John Vogel à Matt Damon.

Le montage agit, lui aussi, comme un élément responsable de la pénibilité du récit. Effectivement, celui-ci éclate la temporalité du film afin de se construire à l’écart de toute chronologie distinctive. Ainsi, la trame principale du récit est bouleversée par de (trop) nombreux flash-back venant s’y intégrer de manière relativement aléatoire. Flag Day est alors à ce moment totalement déconstruit, proche de l’incompréhensible, tant il est compliqué de remettre de l’ordre dans ce foutoir temporel. L’idée de Sean Penn pour harmoniser le tout et y remettre un minimum de sens consiste en l’instauration d’une voix-off jonchant le récit afin de donner au spectateur les différents éléments nécessaires à la compréhension des séquences. Il en résulte un dispositif brouillon, maladroit et à la limite du supportable. Le minimum de perspectives que tente d’apporter cette voix-off semble totalement superficiel, comme n’ayant jamais réellement sa place au sein du métrage.
À l’image de Jennifer Vogel n’arrivant pas à construire sa vie d’adulte, à se détacher de la présence de son paternel, le film ne parvient aucunement à se fonder une véritable structure ailleurs qu’autour de son duo d’acteurs principaux. Cela se ressent notamment à travers le personnage du frère de John Vogel, interprété par un Josh Brolin à la présence radicalement fantomatique.
Seuls resteront en mémoire des plans dotés d’un réel intérêt esthétique. Sean Penn, comme à son habitude, est constamment à la recherche de nouvelles formes de cadrage et prend un réel plaisir à varier la plasticité de ceux-ci. Il couple cela à un très bon travail de photographie dont la multitude de recherches d’ambiances lumineuses s’harmonisent parfaitement aux divers plans trouvés par le réalisateur américain.
Cependant, un film beau n’en devient pas spécialement bon, et Flag Day finit donc, de par l’association hasardeuse de ces divers éléments, à ressembler à un très joli film naïf. Bien loin de mériter une place en compétition officielle, il n’est cependant pas celui qui réconciliera Sean Penn avec le Festival de Cannes, ni même avec le cinéma en général.
Flag Day de Sean Penn, avec Sean Penn, Dylan Penn, Josh Brolin…1h48 Sortie le 29 septembre 2021