Sorti fin février dernier, Call me by your name était le petit évènement ciné de ce début d’année après un bouche-à-oreille qui aura duré près d’un an et qui aura permis au film de rencontrer un joli succès autant critique que public et de rafler au passage l’Oscar du meilleur scénario adapté. Avec sa sortie en DVD et Blu-Ray prévue pour le 4 juillet prochain, l’occasion était trop belle – et puis faut-il vraiment une raison pour parler de ce film ? – pour revenir plus en détail sur l’un des plus beaux films de cette année, d’en faire une petite analyse en bonne et due forme et peut-être vous dévoiler quelques petits détails qui vous ont peut-être échappé.
Dès le générique de début, des indices sont disséminés ci et là concernant le film et les occupations des uns et des autres avec entre autres les photos de statues grecques, les partitions de musique, le papier à rouler, les étoiles juives… On retrouve même le livre L’Heptameron que la mère d’Elio lit un peu plus tard dans le film. Une petite mise-en-bouche avant d’attaquer le plus important.
La profondeur de champ pour définir la relation entre Elio et Oliver
La relation qu’entretient Elio et Oliver est représentée à l’image par différentes profondeurs de champs. Dans un premier temps on a une véritable distanciation entre les deux personnages – de part le fait qu’ils ne se connaissante pas encore évidemment – même s’ils se retrouvent dans la même pièce ou au même “niveau” en utilisant une grande profondeur de champ ou au contraire des plans larges ou encore une véritable séparation physique entre les deux.
La partie de volley-ball dans le jardin des Perlmann permet un premier rapprochement entre Elio et Oliver. Un rapprochement physique rapidement coupé court par Elio qui décide de s’en aller.
De par cette gêne et des sentiments confus qu’a Elio envers Oliver, une distanciation se crée de nouveau. On retrouve de nouveau ces profondeurs de champs.
Et même lors de scènes dans des espaces confinés tels que l’habitacle de la voiture, une séparation visuelle est toujours présente, ici le cadre de la vitre qui crée une séparation entre Elio et Oliver alors que les deux sont en froid.
Après la scène de “réconciliation” entre les deux vient cette fameuse scène sur la place, probablement la plus belle – avec deux ou trois autres mais quand même – . Un long plan-séquence sur la place autour d’un mémorial de la Première Guerre Mondiale, moment charnière où Elio dévoile ses sentiments à Oliver, sans retenue. Après que sa mère lui ai lu L’Héptameron dans lequel se pose la question “Vaut-il mieux parler ou mourir ?”. Visiblement le garçon a décidé d’exprimer ses sentiments. Un plan sans interruption alors qu’en fond on entend les premières notes du morceau de Maurice Ravel “Une barque sur l’océan”. Dans cette scène, les rapports de force se renversent. Alors que dans la plupart des plans Oliver avait un ascendant physique à l’écran sur Elio (on étudiera cette partie plus tard), cette fois Elio prend les devants et devient donc plus imposant à l’écran.
Après s’être embrassés pour la première fois, Elio et Oliver se retrouvent à table avec les parents d’Elio ainsi que des amis venus déjeuner. Au cours du dessert, Elio se met à saigner du nez et quitte la table subitement – un trop plein d’émotions après ce qui s’est passé près du lac ? -. La caméra le suit jusqu’à ce qu’il se recroqueville dans un coin de la maison près du bar. Oliver le rejoint et Elio se confie de nouveau face à une caméra presque statique dans cet endroit confiné où les sentiments prennent enfin forme de manière aussi sensuelle que tendre.
Cependant, la jeunesse se confronte à l’adulte. La fougue d’Elio n’est pas celle d’Oliver qui sait pertinemment que cet amour ne durera que cet été d’où l’éloignement de nouveau qui provoque chez Elio ce besoin encore plus important de le voir, de le toucher et de lui parler. De nouveau lorsqu’Elio et Oliver se trouvent dans le même cadre, l’un est toujours hors-champ comparé à l’autre. Une ignorance qui pousse Elio à lui écrire un mot à laquelle Oliver répondra le lendemain en lui donnant rendez-vous à minuit.
Une fois l’heure du rendez-vous arrivée, Elio et Oliver se retrouvent sur le balcon dans le couloir. Le premier plan nous montre eux deux de dos dans l’encadrement de la fenêtre, comme désormais impossible pour eux de s’échapper et d’échapper à leurs sentiments. Une distanciation vis-à-vis de nous se crée lorsqu’on les retrouve dans la chambre et que la caméra refuse de filmer Elio et Oliver en train de faire l’amour. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui avaient critiqué ce choix alors qu’il s’avère plus judicieux qu’autre chose compte tenu du film et de ce qu’il évoque. Il n’appelle pas à la sexualité frontale mais à la sensualité, au désir et à l’amour dans un sens bien plus large.
Dès lors qu’ils se sont avoués leurs sentiments, on retrouve Elio et Oliver au même plan sans rien pour les séparer jusqu’à leur dernier au revoir à la gare.
La dernière scène où l’on voit Elio et Oliver ensembles, Elio regarde Oliver partir en train à travers la vitre en contre-plongée – de nouveau cette idée d’idéalisation et d’admiration d’Oliver comme un Dieu – qui fait directement référence à la première scène du film où cette fois Elio voit arriver Oliver en voiture, à travers la vitre, mais cette fois-ci en plongée, au moment où Elio avait encore une confiance et un pouvoir vis-à-vis d’Oliver qui n’est à ce moment-là qu’un simple étranger.
Call me by your name et la Grèce antique
Comme on a pu le constater tout au long du film, la Grèce antique et sa culture ont une place importante dans le film. La sensualité est beaucoup évoquée à travers les statues notamment dans cette scène où Oliver et Mr Perlmann observent des photos de statues et où ce dernier évoque la sensualité des corps. À travers un montage parallèle alternant plans de statues grecques et plans sur Elio, on aperçoit clairement qu’Elio est l’objet du désir d’Oliver et de part le discours du père, on devine rapidement qu’il a bien compris ce qui se passait entre eux deux.
L’histoire d’Elio et Oliver peut s’apparenter à ce qu’on appelait dans la Grèce antique la Pédérastie. Lorsque les garçons entraient dans l’adolescence, ils étaient aidés par une sorte de maître plus âgé qui devait lui inculquer les valeurs fondamentales de l’homme tel que le courage, la force, lui apprendre à chasser etc… En retour, ils s’adonnaient à des activités sexuelles – même si ces dites activités n’étaient qu’un second plan de la Pédérastie -. Une fois la tâche accomplie, le jeune garçon retournait chez lui où on fêtait sa renaissance sociale et son entrée dans la vie adulte tandis que le maître partait se marier. Ainsi cette histoire d’amour n’est qu’un passage pour permettre à Elio de grandir – Grow up, see you at midnight ! comme disait Oliver -, chacun apprend de l’autre jusqu’à ce moment fatidique où Oliver s’en va pour se marier quelques mois plus tard.
La scène de la pêche, plus qu’une simple pêche, plus qu’une simple scène
S’il y a bien une scène qui a fait parler d’elle lors de la sortie du film c’est bien celle de la pêche et d’Elio. Nul besoin de revenir en détail dessus mais il est intéressant de se pencher sur le pourquoi de cette pêche et se rendre compte finalement que cette scène est loin d’être seulement anodine ou venue faire le buzz. Partons faire un petit tour du côté d cela Chine où la pêche est le symbole de l’homosexualité et où une légende très connue aurait pu inspirer cette fameuse scène. Durant la dynastie des Zhou (-1122 à -256), le duc Ling de Wei entama une relation avec son amant Mizi Xia, une relation gardée secrète. La légende raconte qu’un jour les deux hommes se promenaient dans un verger et que Mizi Xia croqua dans une pêche. Il l’a trouva si savoureuse qu’il offre l’autre moitié au duc. Celui-ci pris cette pêche comme un véritable acte d’amour de sa part et a décidé de dévoiler leur relation au Royaume.
Ici après qu’Elio ai “croqué” la pêche, Oliver est sur le point de la manger mais est stoppé par un Elio aussi confus que gêné. Signe que leur relation restera finalement secrète jusqu’à la fin.
Visions of Gideon, Oliver vu comme un Dieu
Durant la scène finale, la chanson Visions of Gideon est jouée par – le dieu – Sufjan Stevens. Gideon est un personnage biblique du Livre des Juges – issu de la Bible hébraïque et de l’Ancien Testament chrétien. Jeune juif, il a monté une armée de 300 hommes pour combattre l’ennemi et qui était totalement dévoué corps et âme à Dieu, Dieu qui lui rendait la pareille à travers des visions pour que Gideon puisse vaincre l’ennemi et libérer le peuple d’Israël. Cependant ces visions se sont arrêtés une fois la bataille gagnée.
Aussi jeune juif comme Gideon, Elio voue presque un culte à Oliver. Ce n’est pas pour rien que la plupart des plans sur Oliver sont d’ailleurs fait en contre-plongée. Une figure qu’il admire et dont il a besoin jusqu’à ce qu’elle s’en aille une fois la bataille gagnée, ici celle d’Elio avec lui-même finalement.
Et maintenant quelques petits détails qui auraient pu vous échapper…
Maintenant qu’on a fait le tour de l’histoire et de ses moments clés, on va conclure avec une petite liste de détails dans le film qui vous ont peut-être échappé histoire de finir en beauté !
- Lors de la scène où Oliver danse sur Love My Way, les premières paroles sont : “There’s an army on the dance floor“, assez marrant sachant que celui qui interprète Oliver n’est autre qu’Armie Hammer.
- Quand je vous disais que dans le générique des petits clins d’oeil étaient disséminés de partout. Un exemple ici avec le journal Carriere della Sera que lit Mr Perlmann et qui s’avère être un des journaux les plus lus en Lombardi.
- Coincidence ou pas, Elio a toujours un t-shirt de la même couleur que la voiture/bus dans lequel il monte ou se trouve à côté.
- Elio a la même position que la statue repêchée dans le lac lorsque sa mère vient le chercher à la gare après qu’Oliver soit parti.
Malgré dix-neuf visionnages du film, il est fort probable que d’autres détails m’aient encore échappé alors ne rangez pas trop vite cet article de côté puisqu’il sera certainement mis à jour de temps en temps. En attendant n’oubliez pas d’aimer et d’être aimé !
Excellente analyse ! Il est vrai que je n’avais pas fait attention aux détails du générique (je n’ai vu le film que 3 fois, ce qui est déjà pas mal!).
J’ajouterai bien quelques éléments (j’espère que ce n’est pas trop long !):
– Distance entre les personnages dans la première partie du film : la force de cette mise en scène c’est qu’elle est très esthétique et en même temps elle donne les clés de compréhension sur la relation entre Elio et Oliver. On saisi parfaitement le jeu du chat et de la souris qui s’installe entre eux.
– Scène de la danse : ma scène préférée ! La mise en scène est très bien pensée entre le plan fixe sur Oliver qui indique que Elio est en train de l’observer attentivement et l’entrée de ce dernier sur la piste, tentant de se rapprocher de son crush. Le tout est présenté de manière très fluide, c’est vraiment superbe.
– L’évolution du personnage d’Oliver : On passe d’un jeune homme froid, distant, à quelqu’un qui va finalement s’ouvrir à Elio. Un des moment les plus fort pour moi se trouve pendant la scène “is it better to speak or to die”. Oliver est de dos par rapport à Elio et montre enfin ses vrais sentiments aux spectateurs (même si il y a un début pendant la scène du piano.). Armie Hammer est superbe sur ce plan !
– Scène de déclaration d’Elio : Une nouvelle fois, la distance est présente entre les deux personnages, ce qui renforce la gêne présente durant la scène. On retrouve un Elio qui veut se montrer confiant et prend la pose comme si tout était normal et juste après, il se renferme sur lui même (quand il baisse la tête en marchant)! Ce que je trouve drôle, c’est quand il observe la statue puis la croix de l’église, car ça me rappelle beaucoup ces moments de gêne où on se dit “j’ai dit/fait quelque chose que je n’aurai pas dû” et qu’on essaye de penser à autre chose ou qu’on se met à genoux devant une statue en mode “pitiez, aidez-moi !”.
– Les regards : Les nombreux regards de Timothée Chalamet pendant le film… On comprend instantanément les émotions de son personnage ! Je pense notamment à la scène d’archéologie (toujours avec cette histoire de distance que tu as évoqué), ou Elio observe Oliver. Et le regard entre les deux personnages dans la scène “I would kiss you if I could” aurait pu durer plus longtemps je trouve, c’est le passage de la bande annonce qui m’a le plus poussé à m’intéresser au film.
– Scène d’amour entre Elio et Oliver : je suis d’accord que ce n’était pas nécessaire de tomber dans la nudité frontale, mais j’ai quand même était frustrée en voyant la caméra se tourner vers la fenêtre. La passion est tellement présente entre les deux acteurs et est plus développée dans le bouquin je trouve.
– Rapport à l’antiquité/mythologie grecque : je pense aussi au plan ou Elio est entourée de Chiara et Marzia sur le canapé. On dirait presque un tableau !
Voilà, c’est ce que j’avais gardé en tête 🙂
Si cela t’intéresse, j’ai fait un montage vidéo sur le film (tu as probablement dû en voir beaucoup !) : https://www.youtube.com/watch?v=T6cteafIvkg#action=share
Sinon, je trouve que tu écris très très bien, je te suis depuis peu, mais chapeau !
Je viens de visionner le film pour la première et j’ai remarqué qu’une mouche tournait souvent autour d’Elio.
Surtout sur le plan de fin, après quelques recherche voici ce que j’ai trouvé :
Lorsque la mouche fait son chemin dans la maison, elle sert généralement d’avertissement qu’un danger se cache quelque part. En effet, elle essaie d’attirer votre attention, car vous passez trop de temps avec quelqu’un ou quelque chose qui a une influence destructrice.
Hasard ou message caché ?