Écrite par Isaac Asimov après la Seconde Guerre mondiale, la saga littéraire Fondation est considérée comme pionnière dans le genre de la science-fiction et englobe des thèmes vastes aux préoccupations humanistes et sociales. Les livres sont largement considérés comme précurseurs et ont inspiré des classiques comme Star Wars ou Dune. Pourtant, Fondation traîne une réputation de roman inadaptable au grand écran en raison de la longueur de son récit qui s’étale sur des milliers d’années et plus de sept tomes. Nombreux·ses étaient donc celleux qui attendaient de pied ferme la série de David S. Goyer (producteur et scénariste de la trilogie The Dark Knight entre autres) et si les premières images dévoilées sporadiquement au cours de l’année passée ont permis aux fans d’espérer une adaptation de qualité, le temps est maintenant au bilan de cette première saison déjà extrêmement prometteuse.
L’intrigue de base est simple : nous sommes des milliers d’années dans le futur. L’humanité s’est propagée dans l’ensemble de la Voie Lactée et la galaxie est contrôlée par l’Empire, fort de sa puissance militaire. Gaal Dornick est appelée à rejoindre la capitale de l’Empire pour assister le mathématicien Hari Seldon (Jared Harris) dans ses travaux. Seldon est l’inventeur d’une nouvelle science, la psychohistoire qui, sur base de divers calculs, peut prédire les mouvements de masse ainsi que les catastrophes à venir. Il prédit alors la chute de l’Empire, suivie d’une longue période de ténèbres pour l’humanité et propose de bâtir une Fondation, un lieu où les savoirs les plus importants de notre civilisation peuvent être préservés. Des années plus tard, cette même Fondation doit faire face à une crise majeure qui pourrait compromettre son existence.

Avertissement aux fanatiques de la première heure : il ne faut certainement pas s’attendre à une réplique identique des intrigues du livre, la série se veut plus comme une adaptation moderne des récits d’Asimov avec des ajouts qui font écho dans le monde actuel. Ainsi, certains personnages importants changent de genre (ce qui est une bonne chose lorsque l’on s’aperçoit que le premier tome ne contient aucun personnage féminin en 400 pages….) et d’autres se voient changés de manière à enrichir leur intrigue. En effet, Goyer fait le choix très avisé d’inclure la notion de dynastie génétique dans son adaptation. Si l’on prend l’exemple de Cléon I, ce dernier choisit de se cloner pour ne pas avoir à choisir de successeur qui pourrait lui faire de l’ombre. De ce fait, trois “versions” de l’Empereur sont en activité au même moment : Brother Dusk (le plus âgé, qui sert de conseiller aux deux autres), Brother Day (qui règne sur l’Empire) et Brother Dawn (le plus jeune, qui est en apprentissage auprès des deux autres). Ce choix enrichit particulièrement le récit et permet de donner corps à la confrontation et la différence de mentalité entre Seldon et l’Empire, une division entre croyances et science. Là où l’Empire est dans une stagnation constante qui ne semble pas avoir de fin (on parle quand même d’un homme se clonant depuis plus de 400 ans pour rester au pouvoir et qui applique la même politique tout en étant bloqué dans un palais aux barreaux dorés sans jamais voir l’empire qu’il dirige…), Hari Seldon propose un changement complet et radical sous l’urgence de la situation : l’humanité est en train de périr, on ne peut rien y changer, c’est un fait, l’heure est à présent au sauvetage avant que le bateau ne coule. Qu’allons-nous sauvegarder de cette humanité qui se développe depuis des millénaires ? On parle ici d’héritage et la question qui se pose n’offre pas de réponse facile : qu’est-ce qui vaut la peine d’être sauvé parmi tout ce que l’humanité a accompli ? Quand les prochaines civilisations se pencheront sur la nôtre, que verront-elles ?

Pour l’Empire, le constat se fait rapidement : il n’y a rien à sauver pour eux. De Cléon en Cléon, chacun s’est perdu dans ses propres croyances aveuglément de ce qui se passait autour d’eux. Leur héritage est amer : l’écho de la vanité, de l’égoïsme et de l’égocentrisme d’un seul homme qui résonne depuis 400 ans. Cette amertume se ressent également chez Seldon qui s’est complètement effacé derrière ses prédictions. Son héritage est sa prophétie funeste, l’homme qui l’a formulée a disparu. Sur toutes ces questions, la série ne prend pas l’audience pour une idiote : elle se veut plus comme une créatrice de réflexion plus qu’une réponse aux questions qu’elle pose, chacun·e est libre d’y trouver sa propre conclusion.
Si la série est donc réussie dans son propos, il en va de même pour sa forme. Les visuels, plus que beaux, servent l’histoire en marquant visuellement la différence entre l’Empire (très droit, très structuré mais surtout froid et impersonnel) et les décors dédiés aux autres personnages (vivants, chaleureux). La lumière et la photographie servent le même but tout en imposant cette impression de grandiose avec des plans que l’on ne pensait pas voir dans une série étant donné le budget limité accordé à chaque épisode (45 millions pour l’ensemble de la série, ce qui paraît excessivement dérisoire lorsque l’on voit la façon dont l’argent a été réparti). Tout cela n’aurait pas le même goût sans le talent des acteur·ices. On pense notamment à Lee Pace (Brother Day) qui s’approprie totalement son personnage et réussit l’exploit de rendre chaque version de Cléon différente de l’autre et Laura Birn (Demerzel, la plus proche conseillère de l’Empereur), absolument remarquable de subtilité et d’émotion dans son jeu.

Fondation est une de ces adaptations que l’on voit rarement au petit ou au grand écran. David S. Goyer a totalement assimilé son matériau de base et modernise son récit sans en perdre l’essence. Portée par des visuels magnifiques, des acteur·ices excellent·es et un réel propos universel, la série accomplit en une seule saison ce que beaucoup n’ont pas su faire en plusieurs films et il ne fait aucun doute qu’elle pourrait devenir un classique de la science fiction capable de concurrencer les plus grands si la qualité reste au rendez-vous au cours des prochaines saisons.
Fondation de David S. Goyer et Josh Friedman. Avec Jared Harris, Lee Pace, Lou Llobell. 10 épisodes de 45-70 minutes.
Saison 1 disponible sur Apple TV+