Retour des Studio Ghibli après Souvenirs de Marnie, Aya et la sorcière se voit exploité en téléfilm au Japon, même s’il verra le chemin des salles par chez nous. Présenté en séance spéciale au festival de Gérardmer, il convoie autant d’excitation que d’appréhension. Vu comme l’un des derniers “bastions” de l’animation traditionnelle et garant d’un savoir-faire typiquement japonais, le Studio Ghibli prend tout le monde à revers avec sa décision de quitter l’animation “traditionnelle” (l’assistanat par ordinateur reste toujours présent), s’attirant l’habituelle foudre du public avant que les yeux ne soient posés sur le métrage. Autre crainte plus fondée, celle de voir Miyazaki Goro aux manettes, lui qui laisse indécis avec ses deux long-métrages au compteur, pouvant passer du très passable et oubliable Contes de Terremer à la notable et chaleureuse Colline Aux Coquelicots.
Avant de s’intéresser au contenu du métrage, il faut évidemment se targuer d’une note sur la qualité de l’animation. Soyons bien clairs, il n’est en aucun cas ici question de fustiger Ghibli pour sa décision de s’orienter vers l’animation 3D. Nous avons passé bon nombre de remarques de comptoir destinées à alimenter de ridicules débats sans fin, affirmant que “Ghibli sans animation traditionnelle, c’est mort“, “C’est donc pas un Ghibli si c’est de la 3D”, et encore nous parlons ici des plus polis. Il n’y a qu’une poignée de personnes qui sont en droit de déterminer ce qu’est un métrage Ghibli, et ce sont ses auteur·ices et animateur·ices. Nous pouvons déprécier le choix – on y viendra –, mais rien ne devrait donner la position prétentieuse de décider que quelque chose a telle ou telle valeur selon des critères subjectifs – tant qu’à faire pétitionnez, ça a bien servi à pourrir des petits studios juste pour l’ego des fans –. Si Miyazaki Goro a décidé que l’animation 3D serait le moyen le plus pertinent de raconter son histoire, alors c’est que ça l’est. De la même manière, Disney s’est fait descendre en son temps de transition, et aujourd’hui personne ne met en doute ses longs métrages d’animation, tant que ces derniers sont bons et continuent de nous faire voyager – entendons par là : c’est le seul débat qu’il y a à avoir ! –. Tout média évolue par ses techniques. Miyazaki Hayao a en son temps été réticent quant à son comparse Takahata Isao pour son utilisation d’une animation par ordinateur, technique qu’il se mit à utiliser, nourrissant ses films d’encore plus de consistance visuelle.

Le petit “coup de gueule” passé, il est temps de juger le rendu… et force est de constater que Ghibli a un sacré train de retard sur son animation 3D, et qu’il va falloir sacrément mettre la main à la pâte pour conserver sa réputation d’orfèvre. Le choix audacieux se paie dans les moyens, et s’il n’est pas forcément question pour le studio de reculer vers l’animation “traditionnelle” – on imagine bien un entre-deux –, il s’avère nécessaire d’affiner son savoir-faire pour l’adapter aux nouvelles lubies techniques. Mais contrairement à un Beauty Water, également proposé dans la sélection de ce Gérardmer 2021, Aya Et La Sorcière a le mérite d’être cohérent, de proposer un univers visuel qui une fois ses codes établis ne tire pas de tous les côtés. C’est certes moche, avec des textures malhabiles, des designs faits à la truelle et des moments où l’on sent que la mouvance des corps n’est pas à la hauteur (on pense notamment aux arrêts intempestifs sur les divers rictus faciaux, toujours laids), mais rien d’aussi catastrophique que ce à quoi on pouvait s’attendre. Une fois l’univers en question posé, le charme opère, les personnages nous cueillent, et on sent l’écriture propre au studio suinter par tous les pores. Une fable qui fait beaucoup penser à Kiki La Petite Sorcière dans ses bases, mais qui a du mal à lancer son aventure.
Adapté de Diana Wynne Jones, qui avait déjà inspiré papa Hayao pour son fantastique Château Ambulant, Aya Et La Sorcière conte les péripéties de la petite Aya, orpheline qui se fait adopter par une sorcière dans le but de l’aider à parfaire les travaux ménagers et l’assistanat magique. Pleine de ressources, la petite réussit à embobiner cette Bella Yaga, et obtient en échange des corvées quelques astuces pour développer elle-même sa sorcellerie, pour laquelle elle est étrangement douée. Les essais entraînent des déboires, impliquant Mandrake, un romancier raté colocataire de Bella Yaga, qui ne manque jamais une occasion d’enguirlander la gamine toujours disposée à faire des bêtises. Accompagnée de Thomas, le familier de Bella Yaga et surtout un adorable petit chat qui parle, Aya en fait voir de toutes les couleurs à son duo d’adoptants. Et c’est à peu près tout.

Nous sommes là face au gros problème du film : il ne propose pas vraiment de fil rouge, mais se ressent comme une grande introduction, elle-même découpée en saynètes donnant l’impression de mini-cartoons. On sait que papa aime l’aviation, mais l’idée n’est pas de juste faire un pilote. Fi de l’introduction laissant entrevoir les raisons de son abandon, le rapprochement symbolique avec sa mère disparue lorsqu’elle découvre les albums de musique du groupe dont cette dernière est la chanteuse, Aya ère sans but réel, passant de sketch en sketch. L’impression de n’avoir assisté qu’au premier quart du film tant la fin est un affront absolu, qui laisse la porte ouverte sur tout ce qu’aurait du proposer le métrage, Aya Et La Sorcière met en place trop pour ne pas développer assez. Une constante chez l’ami Goro, comme on a pu le constater avec Les Contes de Terremer, de vouloir adapter une histoire trop dense là où il n’y qu’un seul aspect qui l’intéresse. C’est peut-être là l’astuce, de ne justement pas mettre trop de choses si c’est pour les laisser de côté, et d’assumer jusqu’au bout sa volonté de conte pour enfants, tant ici le pari est tenu.
Aya Et La Sorcière est charmant. Loin de ce que l’on adore chez Ghibli, mais en reprenant les thématiques, le film parvient à s’assembler et à opérer une fois encore son soupçon de magie. Des personnages attachants, un rythme constant et beaucoup de choses à l’écran, qui pourraient nous faire pardonner son animation, en espérant que si la prochaine décision est de rester dans l’animation 3D, le studio prendra du galon. Mais une fois le puzzle assemblé, et que l’on réalise tout ce qui était promis dans la diégèse du métrage, l’impression d’une supercherie prédomine, d’une ambition de raconter quelque chose qui est finalement mis en toile de fond, pour faire joli. Une demi-teinte qui se tourne à son issue vers la déception, et la preuve que malgré ses cinquante balais bien tassés, Miyazaki Goro ne s’est pas encore trouvé.
Aya Et La Sorcière, de Miyazaki Goro. Avec les voix de Hirasawa Kokoro, Terajima Shinobu, Toyokama Etsushi… 1h22
[…] comme nous nous sommes arrêtés sur l’animation malheureusement peu au point d’Aya Et La Sorcière, il convient, avant d’aborder le contenu du film, de s’arrêter sur l’animation, […]