Brandon Cronenberg a déjà suscité les curiosités avec Antiviral, son premier essai. Sa mise en scène chirurgicale, aux tons excessivement froids, laisse un sentiment d’inabouti mais dénote également d’une patte d’auteur imparable, celle d’un réalisateur qui trouve progressivement son identité dans cette manière de regarder avec recul et cynisme ses sujets. Possessor nous arrive nourri de bien d’attentes, et s’ancre dans une continuité logique : la patte s’affirme, mais les défauts persistent.
Dans le domaine de l’infiltration et du meurtre sous contrats, les procédés ont pris un gallon technologique. Par un système d’incarnation quasi-télépathique – nécessitant une condition mentale prédisposée mais aussi une machine à la pointe permettant l’opération -, l’assassin·e possède un corps, utilise son hôte à ses fins avant de le sacrifier. Une méthode habile, ennemie des institutions policières qui ne peuvent qu’abdiquer devant l’amas de fausses preuves d’une évidence indiscutable. Des particularités qui représentent évidemment un danger, tant pour l’hôte que pour le parasite. Dans cette confusion identitaire, la prise de contrôle d’un corps, de sa condition physique mais aussi sociale, devient une source de perdition psychique, à travers laquelle l’esprit ne peut plus acter sa distinction.
Thématique qui offre à Brandon Cronenberg un terreau fertile pour laisser libre cours à ses expérimentations visuelles. Possessor est parsemé de trouvailles toujours pertinentes, que ce soit lors des transfusions, où la manière de narrer à l’écran l’échappée de l’esprit passant de corps en corps donne lieu à un ballet de couleurs et de passages très graphiques, ou lors des moments de doutes, quand l’identité vacille, et que le corps devient lui-même un accessoire malléable au service de la caméra. À l’image d’Antiviral, le soin apporté à l’image est exemplaire, et on sent le caractère formaliste du réalisateur. Mais également à l’image d’Antiviral, ce même formalisme nous pose en observateur·ice·s des évènements, et oublie de nous impliquer complètement.

Malgré ses couleurs chatoyantes, le ton sec, chirurgical, nous place dans une position étrangère aux personnages. Pour celleux dont l’empathie est nécessaire, voire indispensable, pour être embarqué·e·s dans les méandres d’une histoire aux contours complexes, Possessor fascine mais laisse timidement sur le côté. On sent là une volonté de réalisation signifiante, qui fait écho à la manière de composer à l’écran la violence, brute et sans aucun artifice, mais l’impression que Cronenberg reste en léger retrait de son œuvre, qu’il refuse de s’y plonger totalement, persiste. Un bémol éreintant tant le parcours des personnages et son atypisme pourrait forger un lien avec l’observateur·ice, qui peut se retrouver dans cette perte identitaire.
0n comprend le désespoir de Tasya, qui à force de devoir entrer dans la peau de quelqu’un d’autre, de sauter de corps en corps – elle nous est décrite comme l’une des meilleures assassines de l’agence, sans nous donner le nombre de missions qu’elle a effectuées, que l’on imagine imposant -, peine à parfaire les tests qui lui sont imposés à chaque fin de contrat. La distance qu’elle prend naturellement avec sa famille, elle qui par sa schizophrénie imposée ne peut plus se retrouver dans la vie simple qui est pourtant sa seule échappatoire, devient un fardeau, un entremêlement de souvenirs qu’elle ne sait plus distinguer, entre les siens et les acquis forcés. Le jeu très subtil d’Andrea Riseborough ajoute à cet état désespéré, celui d’une agente qui ne sait comment survivre, prend du recul sur tout, ne ressent plus rien, à l’image du même recul que prend Cronenberg sur cette condition maudite – qui devient un choix de réalisation conscient, et que l’on comprend -. À cela s’ajoute le caractère psychopathe, qui joue également avec le point de rupture de Tasya. Si on la voit perdre le contrôle, les règles qu’elle s’est édictées relèvent de sa propre nature dangereuse, de son statut de “machine à tuer” indéniable qui perd pied dans un métier dont elle n’a auparavant jamais remis en cause la nature même. Le miroir avec Colin, alors que l’esprit de Tasya atteint le point de rupture, devient encore plus signifiant, le corps devenant un lieu de lutte entre les deux esprits qui souhaitent reprendre le dessus. Un Christopher Abbott lui aussi incroyablement juste face à cette partition complexe.

Si les comparaisons avec le paternel David font partie de ces remarques que l’on espère voir disparaître, tant l’ami Brandon s’évertue à s’approprier une identité visuelle, elles sont ici encore incontournables. L’étude de l’utilisation des nouvelles technologies à des fins néfastes, nuisant tant aux bourreaux qu’aux condamnés – les hôtes, réceptacles bafoués et exécutés après coup, sont des gens simples, dont l’innocence ne fait aucun doute -, fait penser par exemple à Scanners dans cette manière de concevoir l’humain comme une arme, une goule sacrifiable pour l’intérêt des puissants – ici, une banale histoire d’héritage -. Une façon de l’approcher différente, dotée d’une perception unique, mais une obsession familiale. Possessor est en grande partie une réussite, qui balbutie encore un peu, mais qui laisse admiratif·ve quant aux capacités de Brandon Cronenberg à créer un univers complet, ayant sa propre logique, ses propres codes.
Possessor, de Brandon Cronenberg. Avec Andrea Riseborough, Christopher Abbott, Jennifer Jason Leigh…1h44
Sortie prévue pour avril 2020
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