Pour son deuxième long-métrage, Baya Kasmi continue de se questionner sur le sens des origines et sur la différence entre les générations dans la culture et les traditions. Youssef, son personnage principal, forme un tampon entre la vie parisienne qu’il mène et l’environnement familial, plus semblable à un cocon que la capitale. Loin de vouloir une approche manichéenne, Baya Kasmi pose la question de l’origine sociale au sein des membres d’une même famille, une empreinte indélébile que seul·es ces dernier·es semblent reconnaître. Une manière de rappeler que des enfants peuvent évoluer dans des sphères (sociales, culturelles…) différentes, ne changent pas aux yeux des parents, et vice versa.
Youssef Salem a du succès, c’est l’histoire d’un auteur dans la quarantaine (Ramzy Bedia) qui n’a pas totalement réussi sa carrière d’écrivain en n’étant pas reconnu comme tel par ses pairs. Pour son dernier roman, il décide de s’inspirer de sa famille et de briser leurs tabous. Une « fiction » qui se révèle être son premier succès public et critique, l’amenant jusqu’au Goncourt. Il doit maintenant agir en choisissant de s’expliquer avec ses parents ou de tout faire pour qu’iels ignorent la sortie du livre… Ce regard posé sur les non-dits familiaux entre parents et enfants est tout l’enjeu de Youssef Salem a du succès. Baya Kasmi a accepté de se confier sur les volontés de son film, co-écrit avec Michel Leclerc, et notamment sur sa relation aux transfuges de classe sociale qui n’est pas évidente à évoquer ou à comprendre au sein d’une même famille.
À l’approche de son premier succès, Youssef semble placer l’avis de ses parents au-dessus de tout, surtout quand il peut se confronter à certains tabous.
C’est le point de départ de ce scénario mais aussi d’autres que j’ai pu écrire auparavant : la question du tabou et du refoulé au sein de la famille. Cela fait partie de mon expérience de vie également donc, en tant que scénariste, on a forcément envie de gratter là où les choses sont camouflées. C’est là où je vois l’écriture comme un moment de liberté pour reprendre en main ces secrets et jouer avec eux, en les imposant aux autres. Comme Youssef où ses révélations peuvent l’impacter lui mais également toute sa famille. Cela nous permet aussi de nous questionner sur le sens de nos actes, est-ce que ces révélations lui font du bien à lui-même, à sa famille ou aux deux ? Est-ce qu’on a le droit de ne pas vouloir dire certaines choses ou de ne pas vouloir les exposer à la vue de tou·tes ? Je m’identifie pas mal à Youssef car il répète souvent à son éditrice qu’il a plus envie d’écrire « quand c’est sale, que ça fait mal et qu’il y a du secret » mais c’était important également d’avoir le point de vue des autres qui subissent ces révélations et qui n’ont pas envie de parler. J’avoue sans problème que la question de l’identité est peut-être obsessionnelle chez moi (rires), elle transpire dans pas mal de mes scénarios. Mon père est algérien et ma mère française et je me suis retrouvée dans des conversations où des personnes ignoraient que j’avais des origines algériennes par exemple. Mon père et mon frère ont été victimes de racisme mais pas moi, l’écriture est aussi arrivée avec cette culpabilité, pourquoi eux et pas moi ? J’ai essayé de mettre cela aussi dans le film, traiter cette question de la culpabilité par rapport à nos origines, nos parents, nos cultures.
C’est d’ailleurs étonnant de voir le terme succès mentionné dans le titre car cela ne semble pas intéresser Youssef dans ces conditions.
On a d’ailleurs failli changer de titre récemment (rires). J’y tenais, personnellement, parce que la notion de succès, elle impacte à la fois l’auteur·ice et celleux qui sont concerné·es par l’histoire racontée. J’avais aussi l’impression, bêtement peut-être, que mettre dans la même phrase « Youssef Salem » et « succès » n’était pas forcément évident pour tout le monde. Garder ce titre, c’est rappeler que toutes les histoires peuvent être romanesques et peuvent être racontées au cinéma ou dans la littérature.
Vous emmenez le/la spectateur·ice dans ce cocon familial, là où tout le monde est concerné par cette histoire, tout en acceptant certains clichés en y amenant plus de profondeur et de réalisme.
Je n’avais jamais pensé à l’idée de l’immersion dans cet (in)confort familial mais ça me parle beaucoup. Chaque spectateur·ice peut avoir ses préjugés et l’écriture est aussi un moyen de lutter contre, cela permet d’opposer des avis contradictoires. Partir d’un cliché, c’est réfléchir, par le prisme de la comédie, pour le déconstruire ou l’accepter. J’accepte le fait qu’il y ait des choses similaires à un grand nombre de familles par exemple mais il ne faut pas en rester à cette similitude. Il faut gratter sur ce que cela veut dire et ce que cela dit de nous. Nous sommes dans la comédie, tous les personnages sont, plus ou moins, caractérisés au début de l’action pour tenter de nous en dire plus sur chacun d’eux (comme le complexe social du frère). Le cliché ne doit pas être une finalité à un propos mais juste un possible point de départ.

Ramzy s’est déjà confié sur la relation avec ses parents, ce que Youssef écrit dans son roman et vit à la suite de la publication.
Ramzy a beaucoup ri en disant que le film était un biopic sur sa vie. Il a vécu beaucoup de situations présentées, des situations presque inévitables car à partir du moment où on devient reconnu, on devient représentatif et tout ce que l’on fait peut potentiellement entacher les autres au sein d’une famille ou d’une communauté. Nous avons ce point commun avec Ramzy c’est d’avoir changé de milieu par rapport à nos parents tout en restant proche d’elleux. Malgré tout, ce changement peut compliquer les équilibres entre les différents membres d’une même famille car iels sont lié·es mais suivent des trajectoires différentes qu’il faut apprendre à connaître et appréhender.
À l’opposé de la famille, il y a sa vie parisienne où il semble avoir davantage de libertés mais aussi accepter les contraintes de la ville.
Il fallait que l’on ressente le tiraillement du personnage entre les deux villes où il mène deux vies différentes. Je voulais des ponts entre ces deux vies en montrant notamment que c’est à Paris qu’il écrit mais c’est chez ses parents qu’il s’inspire. Quand il est chez elleux, je voulais que l’on sente qu’on était pratiquement dans l’un de ses futurs romans. Ce tiraillement il est aussi physique, il passe son temps à faire des allers-retours, à prendre le train… Paris et Marseille sont ainsi ressenties différemment en fonction des moments. On pense qu’il semble plus épanoui à Paris pour que cela s’équilibre plus tard ou inversement. C’était aussi une manière de montrer Paris comme un lieu que Youssef a apprivoisé, ce qui lui est plus compliqué dans sa ville natale où la présence (et surtout l’avis) de ses parents prédomine sur tout et l’empêche d’assumer l’homme / l’écrivain qu’il est devenu.
Lise, son éditrice, incarne justement un personnage qui assume le côté mercantile de sa profession tout en restant profondément humain.
J’ai eu des discussions avec des spectateur·ices qui me disaient que ce personnage était un peu cruel mais Noémie Lvovsky a tout de suite compris que ce n’était pas le cas. Lise est quelqu’un qui connaît les codes et accepte les règles pas toujours très humaines du métier mais qui a un amour profond de la littérature et du talent de son auteur. Ce personnage, il est central car c’est celui qui tend l’oreille, qui lit et qui met en valeur alors que les autres sont plutôt dans un affrontement permanent et pas dans une optique d’écoute. C’est aussi un personnage qui passe son temps à s’effacer, ce qui n’est pas le cas dans la famille de Youssef. Noémie a très vite saisi le côté opportuniste de l’éditrice mais également l’affect et la sensibilité de la femme chez Lise.
Youssef semble avoir plus de mal à accepter ces règles, comme lors de la scène du débat sur Canal +.
Youssef ne les accepte tout simplement pas. Il a besoin de boire et fumer avant d’être sur le plateau et il commence même avant d’entendre les critiques très dures sur son roman. Il doit répondre à une personne qui lui dit qu’il a honte d’être arabe, une autre d’être misogyne… sans être préparé à ça. Il y a beaucoup d’improvisation dans cette scène, la seule chose que je ne voulais pas, c’est que Youssef réponde parfaitement à chaque accusation car on le sent très vite écrasé par tout cet engrenage médiatique où il est jugé selon ses origines et pas selon son écrit. Je revendique que chaque personnage a le droit à sa part de médiocrité, avec des défauts, quelque soit son histoire. Cette scène est là aussi pour rappeler que c’est très compliqué d’être auteur·ice. Une fois que votre production, littéraire ou audiovisuelle, est terminée, elle ne vous appartient presque plus et vous devez sans cesse la légitimer auprès de vos pairs ou du public. L’ironie c’est qu’on a réussi à avoir le plateau de CNews pour cette scène (rires).
Merci à Baya Kasmi pour ses réponses. Interview réalisée le 1er décembre 2022 dans le cadre du dispositif Les Chroniqueurs du Studio 43, cinéma à Dunkerque.
Youssef Salem a du succès réalisé par Baya Kasmi. Écrit par Michel Leclerc et Baya Kasmi. Avec Ramzy Bedia, Noémie Lvovsky, Melha Bedia. 1h37
Sortie en salles le 18 janvier 2023