Au moment de la présentation de son film Un Monde, en compétition à la 41e édition du FIFAM, nous avons eu l’occasion de rencontrer la réalisatrice belge Laura Wandel. Son long-métrage a, depuis, atteint nos salles obscures le mercredi 26 Janvier 2022 et est actuellement en pleine course pour les Oscars, présent dans la présélection de 15 films pour l’Oscar du Meilleur Film International. Pour On se fait un ciné, elle revient sur la genèse de son film ainsi que sur les différents choix forts qu’il a fallu opérer dans l’élaboration de celui-ci.
Après avoir été en compétition dans la catégorie Un certain regard du dernier Festival de Cannes, votre film Un Monde est aujourd’hui en compétition au FIFAM (Festival International du Film d’Amiens). Que ressentez-vous face à autant de reconnaissance pour votre premier long-métrage ?
Ça me touche énormément ! J’ai tout de même mis sept ans à faire ce film, c’était un long parcours. Plusieurs fois j’ai même cru ne pas pouvoir y arriver, que le film ne verrait jamais le jour. D’autant plus que c’est un film assez radical et il a donc été difficile de le financer. Le fait que ce film puisse enfin exister, être vu et être reconnu, c’est extraordinaire.
En plus de le réaliser, vous avez écrit ce film. Était-ce une double casquette facile à porter ?
Ce que moi je préfère, c’est être sur un plateau et diriger des comédiens. Travailler avec une équipe de tournage, ça n’a rien à voir avec le travail de scénario. L’un est solitaire alors que l’autre relève d’un véritable travail du collectif. La double casquette n’a donc pas été évidente, mais ce que j’ai fait afin de nourrir le travail d’écriture et y mettre un peu de vie, c’est aller observer, pendant plusieurs mois, des cours de récréation. J’ai discuté avec des instituteurs et des directeurs d’écoles, j’ai également lu énormément de choses sur les mécanismes de harcèlement. Je ressens souvent ce besoin d’élargir au maximum mon champ de vision pour savoir réellement ce que je dois raconter. Ici, je savais que je voulais parler du monde scolaire. Je savais également que je souhaitais montrer une fraternité mise à mal par l’école en partant du point de vue d’un enfant nouvellement scolarisé. La découverte de ce monde m’intéressait tout particulièrement, de pouvoir parler des enjeux qui l’entourent, de la nécessité d’intégration. Le fait d’avoir fait toutes ces observations et ces lectures a véritablement nourri le scénario et a rendu le film plus réaliste.
Comment avez-vous trouvé ces deux enfants qui portent véritablement le film sur leurs épaules ?
Tout simplement par un casting. Maya, qui interprète le rôle de Nora, avait sept ans lorsqu’elle a passé ses essais. Je n’oublierai jamais le moment où elle est arrivée dans la pièce et m’a dit « moi je veux donner toute ma force à ce film », ce qui est assez fou pour un enfant de cet âge ! Sa famille ne vient pas du tout du milieu du cinéma, mais elle a senti quelque chose. Quand on lui demande ce qui l’a motivée à faire ce film, elle dit toujours que dès qu’elle m’a vu, elle a eu envie de travailler avec moi. On a eu comme une sorte de coup de foudre mutuel, et elle a littéralement donné toute sa force à ce film. Dès le début, je savais qu’il me fallait trouver une enfant qui soit très forte, mais surtout très volontaire. Tous les rôles sont hyper importants, mais le sien tout particulièrement, et je savais que si je me trompais, le film était foutu.
En filmant la cour de récréation, vous vous confrontez obligatoirement aux séquences de groupes. Comment gère-t-on autant d’enfants sur un plateau de cinéma ?
Évidemment je n’étais pas toute seule pour ce travail. Il y avait deux coachs enfants, des assistants… ils étaient vraiment entourés. On a tout fait pour rendre ce tournage le plus agréable possible pour les enfants. On faisait au maximum deux ou trois séquences par jour, car c’était essentiel qu’ils puissent se ressourcer, jouer, et tout simplement penser à autre chose. Sur ce tournage, le bien être des enfants était notre priorité, tout était organisé en fonction d’eux.

Votre film a une spécificité technique particulière avec cette caméra constamment à hauteur d’enfant. C’est une idée que vous aviez dès le début du projet ?
Oui dès le début, car j’écris en image et je me suis dit que la meilleure manière d’immerger le spectateur, de le confronter à ce que c’est d’être un enfant qui rentre pour la première fois à l’école était de rester tout le temps à cette hauteur. Le but était de lui rappeler qu’à cet âge, on ne voit pas tout, on a une vision assez limitée. Il fallait lui donner cette sensation que l’école l’avale. Le casting de l’école était pour cela très important puisqu’il fallait trouver un bâtiment avec de longs couloirs, au sein duquel on n’arrive pas très bien à se repérer, car je crois que lorsque l’on est enfant et qu’on arrive dans une nouvelle école, il y a une forme de perte des repères spatio-temporels qui fait que l’on ne sait pas où l’on est, l’heure qu’il est…
Il y a également dans votre film un gommage des adultes qui apparaissent totalement impuissants.
Tout, dans ce film, est fait pour représenter la perception de Nora. Elle perçoit principalement le fait qu’elle ne peut compter sur l’aide de personne. C’est pour cela que les adultes ne sont pas montrés dans leur entièreté, car c’est comme ça qu’elle les voit, mais c’est aussi symbolique. Les deux adultes que l’on voit le plus sont le père et l’institutrice, étant donné que ce sont eux qui se mettent le plus souvent à sa hauteur et qui essayent de la comprendre.
Adopter le regard de Nora est aussi intéressant dans le fait qu’elle occupe un point de vue extérieur. Ce n’est ni la personne harcelée, ni celle qui harcèle.
C’est vrai que le point de vue du témoin, on ne le voit pas beaucoup dans les films qui traitent du harcèlement. Il faut savoir que dans les mécanismes de harcèlement, il y a le harcelé, le harceleur et le témoin. Être le témoin c’est hyper violent en réalité. Le spectateur s’identifie à celui-ci grâce au personnage de Nora, mais aussi parce qu’en voyant le film dans la salle de cinéma, il devient observateur de ce qu’il se passe.
Cette position de témoin est appuyée par la forme que donne le huis clos, la caméra, et donc le spectateur, est comme enfermée dans l’école.
C’était un choix effectué dès le départ. Pour moi, le hors champ a un rôle essentiel, autant au niveau de la manière de filmer qu’au niveau de ce qu’il dit de l’histoire. J’avais envie que le spectateur puisse imaginer le quotidien de cette famille, ce qu’il se passe à la maison, sans le voir. On me demande souvent pourquoi la mère est absente du récit. Mais celle-ci peut très bien être au travail ou à la maison. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer que la différence crée le jugement. Le fait de montrer ce père amenant ses enfants à l’école forme, par déduction, deux choses dans la tête des autres enfants : ils n’ont pas de mère et le père est chômeur. Je voulais également montrer le regard changeant de Nora sur son père, qui commence également à avoir un jugement vis-à-vis de celui-ci. Le huis clos me permet aussi de confronter le spectateur à ses propres a priori. Au début du film, on voit cette petite fille qui pleure et qui s’accroche à son frère. À ce moment, la majorité des spectateurs pensent que c’est elle qui se fera harceler. Encore une fois, c’est un apriori. Le mécanisme de harcèlement lui-même est fait de jugements. Cependant, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent et c’est très important d’essayer d’ouvrir son champ de vision. C’est toujours plus facile de juger que d’essayer de comprendre.
La séquence finale du film fait par ailleurs écho à cette scène d’introduction, mais quelque chose semble avoir changé.
Entre les deux séquences, il y a eu un apprentissage. Cette évolution ne s’est pas faite en une ligne droite, les personnages avancent et reculent. Parfois, il faut se casser la gueule pour évoluer, mais ça fait partie de l’apprentissage.
Une autre séquence marquante du film est celle où Nora communique avec son père à travers la grille de l’école.
Oui, c’est même une séquence de non-communication. À ce moment du film, Nora est déjà prise dans un engrenage, dans un conflit de loyauté entre son frère lui demandant de garder le silence, son père qui essaye de la faire parler sur ce que subit son frère et elle essayant de s’intégrer. Au moment de cette séquence, elle est véritablement dans le rejet à la fois de son père et de son frère, car elle a l’impression qu’ils posent problème à sa propre intégration. Il fallait montrer ce que l’on est prêt à abandonner de soi-même pour s’intégrer.
Merci à Laura Wandel pour ses réponses.
Super intéressant