Le Monde après nous raconte l’histoire de Labidi, un jeune homme sur Paris, qui n’arrive pas à accomplir son rêve : devenir écrivain. Pour faire face à ses dépenses, il enchaîne les petits boulots et quelques arnaques mais sa rencontre avec Elisa, d’un milieu plus aisé, lui fait réfléchir sur celui qu’il est et celui qu’il veut devenir.
À 34 ans, Louda Ben Salah-Cazanas est un petit rescapé du cinéma français. Étudiant à Sciences Politiques puis réalisateur de trois court-métrages, il était prêt à réaliser son premier long-métrage mais l’attente fut longue, tellement qu’il était tout proche d’arrêter et de se reconvertir. A travers les péripéties de son personnage principal, il questionne sans arrêt l’impact de nos choix et de nos actes. Son style impose Labidi dans des endroits trop petits ou trop grands, le montrant en mouvement la plupart du temps, comme pour marquer qu’il ne se sent bien à aucun endroit. Il a accepté de se confier sur la production du Monde après nous et sur ses volontés de scénario et de réalisation.
Le film trace le parcours de Labidi, jeune écrivain qui tente de se faire publier, est-ce un parallèle avec votre propre histoire pour parvenir à réaliser ce premier film ?
Le film est en partie autobiographique en effet. Le point de départ est assez complexe mais c’est une grosse partie de mon vécu. À une période de ma vie, j’avais réalisé trois court-métrages mais j’avais décidé d’arrêter car je me suis dit « Je n’arriverai jamais à en vivre, ce sera trop compliqué et ce n’est pas fait pour moi ». J’oubliais un peu ce rêve et ce fantasme de jeunesse, la vie matérielle étant trop compliquée pour Lola, ma compagne, et moi-même. J’ai pris un petit job de vendeur en me disant d’y croire, qu’il fallait que je persiste et que je réussisse dans cette activité qui allait être celle de ma vie. Pendant un an, j’ai complétement arrêté le cinéma et la production de contenus, j’étais vendeur 39 heures par semaine. C’est quand j’ai été élu meilleur vendeur de la marque que ça m’a vraiment déprimé et que je me suis remis à écrire ce qui deviendrait les voix-off du Monde après nous.
La notion de précarité des jeunes prend tout son sens ici avec quelques scènes marquantes (la cohabitation, les boulots alimentaires…).
C’était une volonté et même l’un des points de départ du film selon moi. Je voulais connecter trois situations/questions dans le récit : la précarité, la vie amoureuse et les origines sociales. Cette question de la précarité et de sa représentation s’est imposée car elle fait partie de ce que j’ai vécu et ce que je vivais encore au moment de l’écriture, c’est la part de moi-même dans ce qu’est Labidi au début du film. La vie à Paris est très dure, le coût de l’immobilier est dingue et je trouvais que ce n’était pas suffisamment montré au cinéma et avec mes producteurs, nous espérons que ce film soit aussi un témoignage des difficultés rencontrées par les jeunes.
Labidi oscille entre Paris et Lyon qui ne semblent pas représentées de la même manière avec une ville de Paris bien plus écrasante.
Je tenais beaucoup aux aller-retours entre les deux villes car je ne voulais pas faire un film « parisiano-centré », il y en a déjà beaucoup (trop) aujourd’hui qui place Paris comme le reflet du monde. Cependant, pour un écrivain comme Labidi, passer par Paris pour se faire publier, c’est une étape obligatoire. Je voulais au départ montrer la violence d’une ville comme Paris pour un jeune, une violence sociale et symbolique, mais je me suis rendu compte à travers divers témoignages qu’une ville comme Lyon devenait presque aussi violente que la capitale. C’était aussi pour dépeindre la vie hyper-urbaine où on promet aux jeunes que le travail se trouve ici, ce qui est l’objectif de vie pour beaucoup d’entre eux mais sans les prévenir de ce que cela va leur coûter physiquement et moralement.

À l’opposé de Labidi, il y a le personnage d’Elisa, celle qu’il aime, qui le suit et pour qui il est prêt à tout. Comment le faire exister autrement qu’à travers le regard de Labidi ?
Ce personnage était très compliqué à écrire car je ne voulais pas que le film devienne misogyne malgré lui et cela m’inquiétait. À travers l’amour de Labidi pour Elisa, je voulais faire un film de point de vue, mon regard sur Lola, mon épouse, et c’était très compliqué de se mettre à sa place et de parler pour elle. J’ai vite senti à l’écriture que je ne pourrai pas donner une aussi grande place à Elisa à cause de ça car je ne voulais pas fantasmer des choses sur ce qu’elle pouvait penser. C’est aussi pour ça que j’ai éloigné un peu volontairement Elisa de Lola, Elisa ne travaille pas durant ses études dans le film alors que Lola a toujours eu un job étudiant par exemple. L’une des ressemblances qui restent selon moi, c’était montrer qu’Elisa est plus forte que Labidi. Elle a l’intelligence de comprendre et d’attendre qu’il ait fini sa petite crise où il met celleux qu’il aime en danger. Elle comprend qu’il a besoin d’en passer par là pour devenir adulte alors qu’elle semble déjà l’être, jamais elle n’abandonne ce qu’elle entreprend, ce qui n’est pas son cas. Leur amour est cimenté par elle selon moi, elle a des doutes mais elle reste et c’est pour cela que je voulais finir le film par le regard amoureux qu’elle lui porte malgré tout ce qui a pu se passer.
Vous parlez du regard amoureux, on a quand même le ressenti que son amour pour elle est plus fort que tout, plus fort que son roman.
Bizarrement, j’ai vraiment voulu montrer l’inverse, que l’amour entre eux était très fort mais qu’il peut ne pas résister aux problématiques matérielles, à la violence économique. Quand je montre l’absurdité des situations lesquelles se met Labidi, je veux, bien-sûr, montrer qu’il est fou amoureux d’elle mais qu’on ne peut pas désentrelacer la réalité des choses et ses sentiments car avec toutes ses petites arnaques, il aurait pu la perdre pour de bon.
Au-delà du sentiment amoureux, on sent que la notion d’amitié, d’entraide très importante dans la relation entre Labidi et Aleksei, son colocataire, comme s’il connaissait toutes les galères de l’un et de l’autre par un simple regard.
J’ai voulu parler de l’amour en général, aussi bien pour ceux avec qui nous partageons nos vies que ceux qui nous accompagnent comme nos ami·es, nos collègues. Je trouve aussi que la force de l’amitié est assez peu montrée au cinéma hormis dans des comédies grand public usant de stéréotypes genrés. Il y a un peu plus de pudeur à montrer la beauté et la forcé de l’amitié alors qu’en réalité, ça n’a jamais autant compté que maintenant où on est connecté à nos ami·es presque toute la journée en physique ou virtuellement. C’est aussi cela qui m’a donné envie de matérialiser la relation entre Labidi et Aleksei dans un tout petit appartement pour montrer leur complicité et voir Aleksei comme cet ami presque omniprésent mais pas encombrant.
On sent également dans l’écriture une volonté de montrer l’importance du patronyme, comme avec le père de Labidi qui a pris le nom de sa femme ou avec Labidi lui-même discriminé par son nom de famille.
Questionner les origines pour comprendre la trajectoire que l’on peut avoir, c’est une de mes interrogations. Je suis franco-tunisien, comme Labidi, et j’ai toujours été soit trop français pour être tunisien ou trop tunisien pour être français en fonction de là où j’étais, c’est très compliqué de se construire sur ces remarques. Inconsciemment, je pense avoir voulu montrer que toutes les origines ne se valaient pas sur le marché de l’emploi ou même dans la société. Louda, c’est un prénom que personne ne comprenait, en plus je m’appelle Ben Salah et, même si j’ai pris le nom de ma femme en plus maintenant, cela reste compliqué. Le prénom et le nom de famille font partie de notre identité, ils parlent de cellui que nous sommes et c’était important pour moi d’apporter un témoignage sur cette question.
Au-delà des questionnements sur le passé, ce qui nous construit, il y a aussi une remise en question sur ce que nous sommes et la place occupée dans la société, que Labidi ne trouve pas.
Absolument, c’était une question fondamentale de faire comprendre que Labidi ne sait pas encore qui il est ni ce qu’il veut être. Il s’accroche à un rêve sans forcément mettre toutes les chances de son côté, c’est pour cela qu’il est en perpétuel mouvement, qu’il ne s’arrête jamais et qu’il n’arrive pas réfléchir tranquillement et à se poser les bonnes questions. J’ai le sentiment que c’est une situation que beaucoup de gens vivent, de ne pas trouver leur place dans la société mais aussi professionnellement, ce qui est assez violent, et Labidi commence à mieux vivre cette situation quand il comprend qu’il n’a pas de place et qu’il faut arrêter de la chercher. Ces nouveaux métiers ubérisés trouvent preneurs car il y a des personnes perdues qui doivent répondre à des besoins matériels, nous ne sommes pas du tout dans un rapport vocationnel au travail.
Merci à Louda Ben Salah-Cazanas pour ses réponses. Interview réalisée le 22 avril 2022 dans le cadre du dispositif Les Chroniqueurs du Studio 43, cinéma à Dunkerque.
Le Monde après nous réalisé et écrit par Louda Ben Salah-Cazanas. Avec Aurélien Gabrielli, Louise Chevillotte, Saadia Bentaïeb. 1h25
Sortie en salles le 20 avril 2022