Découvert au Festival du Cinéma Américain de Deauville, Jim Carrey l’Amérique Démasquée nous a particulièrement intéressé (vous pouvez retrouver la critique du film ici). Présenté dans le cadre de la programmation Les Docs de l’Oncle Sam, le documentaire sur ce géant comique d’Hollywood est attendu en France en cette fin d’année 2021 sur la chaîne de télévision Arte. À cette occasion, nous avons eu la possibilité d’interviewer Thibaut Sève, qui co-réalise le film avec Adrien Dénouette, afin d’en apprendre plus sur les origines et le processus de création du projet.
Au départ de ce projet documentaire, il y a le livre, du même nom, écrit par Adrien Dénouette, avec qui tu co-réalises Jim Carrey, l’Amérique démasquée. Quelles sont les difficultés de partir d’une matière déjà existante pour réaliser ce film ?
Nous avons été présentés par ma compagne Raphaëlle Simon (alors rédactrice en chef d’une émission cinéma sur Canal+). Adrien était en phase d’écriture de son livre, le peu qu’il m’en a dit m’a intéressé. Puis six mois plus tard, ça a mûri dans ma tête et je lui ai proposé de se lancer dans un documentaire. Je lui ai présenté un producteur ouvert aux projets fous, Dominique Barneaud de Bellota Films, et on s’est lancé à l’assaut d’Arte.
Quels sont les avantages et les désavantages d’avoir fait ce documentaire en co-réalisation ?
Je n’ai pas la cinéphilie et le talent d’écriture d’Adrien, et lui n’a pas mon expérience du documentaire. J’ai monté une cinquantaine de docus, et réalisé une douzaine. Je suis entouré d’une équipe artistique de talent, comme Julien Thiault le compositeur de la Bo. C’est « Win Win » !
Le travail de recherche d’archives que vous avez effectué est conséquent. Peux-tu nous expliquer comment vous avez procédé pour sélectionner celles qui apparaissent dans le film ?
Avec la documentaliste Valérie Combard nous avons tout reposé à plat. Bien sûr, les idées fortes du livre guidaient nos recherches d’archives vidéos. Ce qui fait le sel du livre, c’est ce mash up de sources (clips de rap, porno, publicités, Super bowl…) qui ont fait les années 90. Mais au final, la trouvaille d’une archive peut aussi donner une grande place à une idée qui avait une petite place dans le livre.
Justement, avez-vous dû faire des choix entre la quantité d’informations que vous souhaitiez intégrer et l’approfondissement possible de chacune d’entre elles ?
Mon apport pour Adrien a aussi été de faire un choix entre les idées théoriques et ce qui est montrable. Parfois, à l’écrit, il est grisant de tirer des fils qui ne sont pas soutenus par des preuves tangibles. De tels raccourcis, bien qu’intellectuellement intéressants, ne sont pas possibles en documentaire.

Avec le recul, as-tu d’éventuelles frustrations par rapport à des films que tu aurais voulu évoquer dans le documentaire, ou des archives que tu aurais souhaité intégrer ?
À un moment, j’ai voulu suivre une idée extrême : ne montrer que les films de Jim Carrey sortis en 1994 durant son année en or, Ace Ventura, The Mask et Dumb & dumber. J’aimais le panache que représentait le choix de raconter une carrière en utilisant une seule année. Comme toute idée extrême, il faut lui faire confiance un temps, pour mieux l’abandonner au profit du film.
En plus de le co-réaliser, tu es également le monteur de Jim Carrey, l’Amérique démasquée. Tu as d’ailleurs fait des études dans le montage. Ta formation de monteur a-t-elle influencé ton travail de réalisation ? Ou, au contraire, as-tu fait abstraction, au moment de sa conception, du fait que tu serais au montage du film ?
J’aime monter les films des autres réalisateurs, je continue avec des gens que je respecte comme Loic Prigent, Olivier Niklaus ou Olivier Joyard par exemple. Il y a plein de sujets qui peuvent me passionner pendant les deux mois de montage. Mais quand on réalise, ça peut durer deux ans. En parallèle, depuis 8 ans, je propose mes propres docus selon mes envies du moment. Cette double casquette ne m’oblige pas à monter moi-même mes films, mais avec Adrien on a tellement avancé de concert et de manière complémentaire que j’ai du mal à imaginer l’ajout d’une monteuse ou d’un monteur. Être trois dans une salle de montage peut amener le chaos ! C’est beaucoup plus sain à deux.
En parlant de la post-production, tu joues beaucoup sur la déformation esthétique : rembobinage, altération volontaire de l’image… C’était important pour toi de donner au documentaire une identité visuelle distincte ?
Avec un ami de toujours, Jérôme Farugia, on a réfléchi à la manière de jouer avec l’effet VHS et à reprendre main sur l’image. C’est une envie que l’on avait posé en montage avec Adrien. Puis Jérôme a bidouillé un set up inédit dans son salon. En gros on a envoyé un signal vidéo (des images de Jim Carrey) dans une table de mixage son, puis par des pédales d’effet de guitare, pour ressortir tout ça sur un vieil écran cathodique que l’on filme en 4K ! C’était le seul jour de tournage sur ce docu fait d’archives, et on s’est bien amusés.
Que représente pour toi et Adrien Dénouette cette sélection au 47ème Festival du Cinéma Américain de Deauville ?
Franchement j’ai compris que c’était énorme une fois sur place. On a appris la sélection cet été et j’avais la tête ailleurs, les pieds dans l’eau avec ma compagne et notre enfant. C’est quand j’ai vu le cadre magnifique du festival, et la qualité des autres documentaires sélectionnés, que j’ai explosé de joie. Ces deux jours ont été irréels pour nous deux : le tapis rouge, l’avant-première de notre premier docu ensemble, les discussions avec les spectateurs. C’était un vrai cadeau surprise !
En 2019, tu as intégré un comité de lecture d’aide au documentaire. Pour toi, quel est l’avenir du cinéma documentaire en France ?
C’est un genre qui ne fait que grandir dans le cœur des spectateurs, que ce soit en salle ou en Replay. Je m’en suis rendu compte en voyant l’intérêt grandissant pour la page Facebook que je gère : LE PLAN DOCU. J’y fais une curation des meilleurs docus à voir en Replay. Cette sélection est depuis cette année reprise sur le site de Trois couleurs, le magazine de MK2. Chaque semaine je trouve des pépites et je n’y suis pour rien. Ça montre surtout la vitalité des créateurs, des producteurs et des diffuseurs. On est dans un cycle positif et j’espère pouvoir apporter des bons documentaires pour participer à cette vague euphorisante.