Alors qu’une partie de la rédaction – les privilégié·es, dirons-nous – s’offrent le tapis rouge et l’aïoli du maire, l’autre – la section “vieux con”, assumons-nous – se tape les Fiat 500 tunées et la Corona/barbeuc. On a le mois de mai qu’on mérite. On aurait pu utiliser le dernier film de super-héro·ïnes en Spandex pour faire le bilan des élucubrations hollywoodiennes du moment, mais les aventures en grosses cylindrées de la Famille peuvent également servir le propos, surtout quand les deux types de franchises à gros sous se ressemblent à bien des égards. Personnages increvables, casting à rallonge avec des figures que l’on peut faire revenir d’un film à l’autre selon des lois aléatoires (“J’étais mort, mais on m’a greffé un enjoliveur !”), vieux·lles acteur·ices en fin de carrière qui en suivant la lumière se retrouvent dans l’un ou dans l’autre – pensées pour Helen Mirren, bloquée dans les deux – voitures dont les améliorations peuvent s’apparenter à des super-pouvoirs, les réciprocités sont à peine visibles. À peine.
Les cases à cocher s’enchaînent dès les premiers instants, et permettent de mettre le/la spectateur·ice dans un cocon familier : Dom est avec le fiston, lui apprend à conduire avant de lui faire une belle leçon de morale où la lumière surexpose le visage de Vin Diesel, contraint de plisser les yeux pour un intervalle aussi court que son articulation est éloquente. Peut-être parce qu’il était pressé de faire trinquer sa bouteille de Corona dans l’incontournable scène de barbecue, pour alléger le ton et retrouver les faciès que l’on apprécie (?), incarnés par des visages que l’on sent bien lessivés depuis tant d’épisodes. Une fois les enjeux établis, l’aventure de Dominic et ses ami·es autour du monde est un prétexte à aller chercher la ribambelle de personnages que l’on n’a pas encore vus, chacun·e étant sollicité·e pour une scène ou plus. On raccorde les wagons, et la note d’intention devient “Que l’on ait des choses à raconter avec ou pas, iels sont tou·tes là”. Les équipes se séparent pour faire les globe-trotteuses, avec chacune pour mission de retrouver les diverses figures que l’on a connues tout au long de la saga. Dom part faire des courses – de voitures – à Rio après sa séquence de Go Fast à Rome, pour faire éliminer au passage un personnage tertiaire qu’on avait totalement oublié – mais y’aura des “ouh” dans la salle ! L’équipe B, elle, part à Londres faire de la bagarre avec Jason Statham, qui disparaît sitôt les baffes données (que les fans d’Hobbs and Shaw se rassurent, Dwayne s’est rabiboché avec Vin, et fait coucou dans les crédits). Personne n’a grand chose à jouer, et de toute manière, personne ne veut/peut jouer grand chose.

Sauf que pour cet épisode, le scénario de Justin Lin lève un peu le pied. Quand le dernier en date faisait mumuse avec des voitures-aimants, ou envoyait Ludacris chanter son unique tube dans l’espace, Fast X se veut définitivement sage – tout en conservant exagération et grandiloquence à sa façon, qu’on se comprenne bien. Pour introduire ce nouveau tour du monde du mauvais goût, on reprend le climax de Fast Five, l’occasion de ressusciter Paul Walker pour quelques plans, et on rajoute grossièrement au montage l’antagoniste de cette nouvelle cavalcade. En gros, le fils du méchant d’avant qui n’a pas trop aimé que Dominic Toretto tue pôpa et qui a promis de le faire souffrir, mais a sagement attendu cinq épisodes pour échafauder son plan, le temps que les scénaristes se demandent quelle partie du récit canon on peut modifier sans que ça ne tue la continuité. La scène d’introduction est un enchaînement d’incrustations foireuses pour faire apparaître Jason Momoa dans le flashback, et justifier une intrigue qui pouvait exister sans tous ses artifices. Mais quand tout semble kitschouille à un point où on pourrait presque y prendre du plaisir, pas de doute, on est bien dans Fast and Furious.
Tels des placements de produits que 2h20 ne suffisent pas à développer concrètement, chacun·e ne peut faire qu’acte de présence le temps d’une ou deux séquences, et se contente de faire la gueule ou l’énervé·e “charismatique”. Quand on voit la scène de bagarre entre Roman et Tej dans un cyber café, pendant que Han prend un space cake pour que la caméra fasse joujou avec les focales pendant deux plans, on comprend que la lecture du scénario n’a pas donné envie de s’impliquer outre-mesure. On sent une certaine implication de la part de Michelle Rodriguez lors des scènes d’action, bien qu’elle se soit plus éclatée dans l’adaptation étonnamment sympathique de D&D, et, même s’ils ne semblent pas jouer dans le même film que les autres, John Cena et Jason Momoa sont bien là, eux. Le premier tronque son personnage blessé pour un mix entre Peacemaker et le tonton sympa made in Amblin. Momoa est dans une dimension bien plus subtile puisque son personnage est un concentré d’excentricités diverses, sans que chacune ne fasse sens. À l’image de ses costumes qui le font passer de baron du crime à roi du carnaval brésilien, l’acteur passe de mines excessivement sérieuses où la volonté vengeance du paternel semble palpable, à un “va fanculo” crié couille en main dans les rues de Rome avant de faire un prout avec la langue. Le pire, c’est que l’on a envie de voir ces éléments développés, et ce personnage exister. La caméra, elle, l’a bien compris, obsédée par le visage de l’acteur qu’elle filme en gros plan dès qu’elle le peut, mais au-delà de quelques visuels le laissant cabotiner à sa guise, Dante Reyes est juste le méchant de service, qui n’est original que par sa démarche et n’a aucun fond.

Il serait audacieux d’aborder un Fast and furious sans évoquer ses scènes d’action, promesses d’un grand spectacle pour lequel on peut aisément pardonner la sous-écriture de tout ce qui les entoure (même si ici, les bavardages inutiles sont omniprésents et longuets). À cet exercice, notre frenchy Louis Leterrier ne s’en sort pas plus mal qu’un autre, et obéit au même cahier des charges que ses prédécesseurs. Formellement, les épisodes signés F. Gary Gray ou Justin Lin lui sont indissociables, et on ne peut pas déclarer qu’il y insuffle une patte particulière – le seul à avoir ce mérite aura été James Wan. Mais si la mise en scène est programmatique, l’ami Louis s’en sort par un découpage correct et un montage qui respire, rendant le tout lisible, nous permettant de tressaillir parfois, et de rire du caractère improbable des situations. Car si, comme nous l’avons précisé plus haut, la grandiloquence n’atteint pas les sommets du neuvième opus, les gros moyens, cascades impossibles et situations rocambolesques sont bien là, et peuvent nous divertir, un tant soit peu. On s’amuse quand Vin Diesel et son œil bionique – que Hawkeye pourrait réclamer dans un procès pour plagiat – éclate deux hélicoptères en les faisant s’entrechoquer ; quand il balance une bombe dans le Tibre et utilise le vent de déflagration pour remettre sa bagnole sur route ; quand Dante a posé un explosif sur chaque mètre carré où son ennemi posera les pieds parce qu’il a tout prévu – ou qu’il a miné la planète, au choix ; ou encore quand Gal Gadot fait irruption en plein Antarctique dans un sous-marin dernier cri. Encore plus riches que les personnages d’un James Bond, protagonistes comme antagonistes ont portefeuille illimité, hommes de main à profusion et Deux ex machina en libre service. Elle était donc là, la thune de malade. Deux scénarios s’offrent à nous : soit Macron a menti, et travailler comme un forcené ne nous fera pas gagner plus, soit il fallait bien traverser la route, mais au volant d’un V8.
Les quelques bons passages lors des scènes d’action font-ils oublier une écriture aux fraises, des personnages jamais caractérisés et une direction artistique franchement moche ? On parlait plus haut des incrustations, de la lumière hasardeuse, il faut les coupler au CGI, qui nous font nous interroger sur le réel budget du film, et surtout réaliser qu’avec dix fois moins, Guillaume Pierret fait dix fois mieux dans son Balle perdue 2. Vin Diesel a déjà annoncé que ce dixième épisode serait divisé en trois parties, les spin off arrivent, et un film juste sur les Torreto – mais lesquels, c’est pas la Famille qu’on se coltine depuis 25 ans ? – est dans les tuyaux. Sans Groot, Riddick, ou Xander Cage, il faut bien capitaliser ou on peut. Sidney Lumet a tenté d’en faire un acteur, Hollywood en a fait son pot d’échappement. Dans une trentaine d’années, il aura peut-être eu l’Oscar qu’il réclame, et son rêve de devenir, après Rita Moreno, l’abuelito de la Famille sera réel : papy Dom fera des courses en déambulateur dans une terre brûlée, tou·tes les acteur·ices encore en activité seront de la partie, et le bilan carbone de chacun des prochains films aura transformé le monde en cauchemar de George Miller. Peut-être que c’est ce qu’on veut voir, après tout.
Fast X, de Louis Leterrier. Écrit par Justin Lin et Dan Mazeau. Avec Vin Diesel, Charlize Theron, Brie Larson… 2h21
Sorti le 17 mai 2023