S’il est facile de critiquer le cinéma français pour ses comédies françaises à la qualité discutable, il est bon de rappeler qu’il existe un vivier incroyable de talents qui nous offre des œuvres qui sortent des sentiers battus, et que ces films que l’on se complaît à dénoncer – souvent à raison – ne sont qu’une poussière un peu trop visible dans l’intégralité de notre production annuelle. Huit ans après le surprenant Vincent n’a pas d’écailles, Thomas Salvador revient avec un film introspectif perché là-haut dans les montagnes.
Lors de la présentation d’un des projets sur lequel il travaille, Pierre a l’esprit ailleurs. Le voilà au cœur des Alpes et ces montagnes d’un blanc immaculé semblent l’appeler. Il décide de prétexter une mauvaise grippe pour rester quelques jours et s’improviser alpiniste. Il se déleste de tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a et tout ce qu’il est pour partir gravir ces montagnes, s’attaquer aux vents glaciaux et aux conditions climatiques qui n’ont rien à voir avec son quotidien parisien et peut-être, par ce biais, devenir quelqu’un.
Même s’il déplace son action aux antipodes de son précédent long (Vincent n’a pas d’écailles déploie son récit dans le sud de la France lors de longues journées chaudes et ensoleillées), les deux métrages partagent énormément de similitudes et confirment surtout un univers unique. Si Thomas Salvador est derrière la caméra, il y est également devant pour incarner un parisien un peu paumé qui trouve l’amour par hasard alors que quelque chose qu’on pourrait relever du surnaturel gravite autour de lui. Le réalisateur profite d’un cadre idyllique, fascinant et terrifiant par son immensité. Alors que les touristes présent·es dans le coin se préparent minutieusement pour ces randonnées enneigées, c’est une véritable fuite en avant qu’exécute Pierre, comme s’il n’avait plus rien à perdre et tout à découvrir.

La (re)découverte de soi à travers un voyage introspectif ou dans la nature n’est pas un sujet nouveau au cinéma, pourtant Thomas Salvador arrive à y insuffler quelque chose de différent. Très peu de dialogues, ce sont surtout les protagonistes gravitant autour de Pierre qui construisent les discussions : son frère qui ne comprend pas cette envie soudaine de rester à la montagne ou Léa qui devient un véritable point d’ancrage. À contrario de Vincent n’a pas d’écailles, La montagne est avant tout un film qui se ressent. Les contemplations de ces rochers immenses mais aussi leur fébrilité, la découverte d’un monde à travers les yeux de Pierre mais aussi le danger qui peut se trouver partout, encore plus maintenant. Parce que le long-métrage ne pouvait pas ne pas être également une fable écologique à l’heure où le réchauffement climatique fait fondre les glaces et provoque chaque année d’importants éboulements – qui font partie intégrante du récit sans qu’ils prennent un aspect beaucoup trop documentaire, préférant les utiliser pour servir l’histoire de Pierre et non accentuer le propos -.
Même si la longueur du film provoque indéniablement quelques petits moments creux, c’est un contrat qu’on accepte de signer dès les premières minutes. En effet, on pourrait croire que Thomas Salvador a écrit son scénario en épousant le rythme cardiaque de son personnage principal. En grimpant dans ces montagnes, on perd environ 25% d’oxygène en moins, ce qui fait considérablement diminuer le rythme cardiaque pour s’acclimater. Plus Pierre grimpe dans ces montagnes, plus le récit prend son temps, se transforme en quelque chose d’organique – en témoigne ces mystérieuses lueurs qu’il rencontre dans une grotte -. La montagne n’est pas seulement un lieu, c’est également un personnage qui interagit constamment avec lui.

En plus de cette introspection personnelle, Thomas Salvador insuffle un aspect romantique avec le personnage de Léa. Tout comme dans son précédent film, cette rencontre due au hasard lui permet d’évoluer mais aussi de retrouver un pied à terre, un lien avec la société qu’il a essayé d’oublier un temps. Le duo formé par Thomas Salvador et Louise Bourgoin est magnifique de douceur et de pudeur, témoignant aussi d’un personnage qui n’a de cesse d’aller de l’avant sans se préoccuper de ce qu’il y a autour. C’est en ça aussi que La Montagne est un film poétique mais avant tout organique, parce qu’il est dicté par une spontanéité douce et rare.
En seulement deux œuvres, Thomas Salvador marque durablement le cinéma français avec un regard neuf sur ce qui l’entoure. La Montagne relève d’une poésie magique qui, malgré les températures qui frôlent souvent le négatif, nous réchauffe le cœur à bien des égards.
La Montagne, de et avec Thomas Salvador. Écrit par Naïla Guiguet et Thomas Salvador. Avec également Louise Bourgoin, Martine Chevallier… 1h55
Sortie le 1er février 2023