[CRITIQUE] Le Dernier Face à face : autopsie de la nature humaine

Facia a Facia, visage contre visage, l’opposé qui se regarde, se fait face, apprend de l’autre, la conscience qui évolue. Colorado sorti quelques mois plus tôt en 1966, ouvrait une réflexion sur la lutte des classes, la violence et l’emprise commises par les dominants sur le petit peuple, la figure du cow-boy face à ses décisions, ses intentions. Le bien et le mal déconstruit, avec une frontière qui n’est pas établie sur qui est le symbole de la justice, de la liberté, et l’autre voué à ne rester qu’une poussière dans une étendue désertique. Dans sa trilogie du western-politique, Sollima trouve un point d’incandescence avec Le Dernier Face à face.

Alors que Colorado remanié au scénario par les soins de Sergio Sollima et sa volonté de transporter son intrigue dans les contrées du Western, relève au départ d’une commande et une imagination de Sergio Donati, grand associé de Sergio Leone. Le Dernier Face à face est un travail main dans la main entre Sollima et Donati, pour emmener le film l’a où le cinéaste le souhaite. Encore plus loin, encore plus radical que son premier essai.

© Wild Side

« Il suffit de franchir les limites de la violence individuelle, qui est criminelle, pour atteindre la violence de masse… qui fait l’histoire. » Celle dont regorge les livres, les méfaits de l’histoire, de la folie humaine, d’un massacre. Pourtant Brett Fletcher n’est qu’un simple professeur qui sur le conseil de son médecin se rend dans l’Ouest, afin de soigner sa tuberculose. Il rencontre « Beauregard » Bennet, desperado et chef de la bande de La Horde Sauvage. Un enseignant qui n’a jamais vécu l’adrénaline, hostile à une vie de hors-la-loi, à une violence quotidienne, évasif à l’idée de devoir suivre des malfrats dans leurs agissements. Il doit s’acclimater à la Horde Sauvage, savoir s’accommoder de leurs codes et apprendre que finalement la vie de Hors la loi, est bien autre qu’il ne l’imaginait. Celle dont les autorités n’y voient qu’une bande à éliminer, n’est-elle pas qu’une communauté de laissé·es pour comptes ? 

Deux personnages qui cote à côté se contaminent, évoluent dans un destin bien contraire. Le desperado qu’on pense plus bas que terre, caractérisé depuis toujours pour voler, est chargé d’humanité au fond de lui, réveille sa conscience face à la réalité, ouvre peu à peu les yeux. Un professeur, figure de l’apprentissage, du savoir, de la construction de la société, dont le corps et l’esprit absorbent toute la violence au contact d’une vie contraire aux idéaux. La Horde Sauvage transforme un être qui paraissait fragile, honnête, et des plus justes, en véritable visage de la barbarie. Un parallèle qu’on pourrait accoler au fascisme mussolinien de l’Italie dans laquelle Sollima a vécu, où les grands leaders barbares sont les plus « éduqués » qui marient l’intelligence, la connaissance, à la force du mal.

© Wild Side

Le Dernier Face à face joue sur un profond trouble et une non réponse qui laisse toute matière à la réflexion. On ne sait jamais réellement si le professeur Fletcher devient un tortionnaire au contact de la violence, d’un mimétisme qu’il acquiert en miroir des bandits, ou sa rencontre avec un desperado réveille ce qu’il avait depuis toujours enfoui en lui, et qui n’attendait qu’une petite braise pour enflammer le monde. La jouissance de devenir un être puissant, d’une fragilité qui s’essouffle, et des remords qui jamais ne font surface après l’acte meurtrier. 

Le Dernier Face à face fait partie de ses œuvres qui trouvent la parfaite harmonie dans tout ce qu’elle entreprend. La profondeur psychologique, le casting, les décors, la partition musicale, la richesse de structure du récit et sa complexité qui se révèle au fur et à mesure. Un auteur au sommet de son art, transporté par ses thématiques, qui sait exactement où aller et comment le faire. Difficile de ne pas être passionné par ce que dépeint Sollima, l’intelligence avec laquelle il surprend dans le retournement de ses personnages, dans cette destinée contraire. Dans ce bien et mal qui n’est qu’imaginé par l’histoire de la civilisation bâtie sur la guerre, par des hommes qui veulent trouver une simple dénomination pour s’affronter et se combattre. Chaque être humain tient en lui une ombre et une lumière, il suffit d’un petit rien pour choisir entre l’espoir et le désespoir qui nous caractérise. 

Le Dernier Face à face, de Sergio Sollima. Avec Tomás Milián, Gian Maria Volontè, Wiliam Berger… 1h48.

Sorti le 23 novembre 1967.

1 Commentaire
  • […] ses deux premiers westerns, Sollima monte une tension crescendo jusqu’à un Dernier Face à face des plus ravageurs et techniquement impressionnant. Son cinéma à la fois coulant dans […]

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