Comment se mettre en sécurité émotionnelle lorsque l’on a de sérieux démons à affronter et que ces derniers resurgissent dans le noir ? Peut-être pas en choisissant de devenir infirmière dans un hôpital pour les plus démuni·es en ruines, dans la ville où les traumatismes ont été proférés, et à une période où la crise énergétique force les autorités anglaises à rationner l’électricité, coupant toute source dès le soir venu. C’est pourtant le choix que fait Valerie, elle qui s’apprête à réveiller bien plus que ses peurs intimes.
On comprend rapidement les motivations de notre héroïne. Ses facilités à communiquer avec les enfants, qui la rapprochent très rapidement de la petite Saba, issue de l’immigration indienne et avec laquelle l’attachement se fait malgré la barrière de la langue. Son sens du sacrifice, nécessaire aux principes de l’institution catholique qu’elle rejoint, et qui coïncide avec son besoin d’aider, d’offrir à ses patient·es le soin qu’elle aurait aimé connaître lorsqu’elle fut abandonnée enfant. Ses prises d’initiatives la font repérer par le docteur Franklyn, qui espère l’accueillir dans son service, mais l’infirmière en cheffe, désireuse de lui faire comprendre les liens disciplinaires qui régissent l’hôpital, la met de corvée nocturne, spécifiquement ce que Valerie souhaitait éviter, pour ne pas subir le vivre feu énergétique dans un lieu si lugubre. Dans sa façon de jouer avec ses teintes et ses lumières, Corrina Faith place immédiatement la jeune femme dans l’inconfort de sa situation : les lumières ne sont pas encore coupées que déjà, alors que Valerie entraîne Saba à rejoindre ce service que la gamine tente de fuir, la jonction montre deux couloirs, le pendant lumineux étant celui qui mène vers la sortie. Valerie se heurte à son passé trouble : les retrouvailles avec Babs, l’une des infirmières qu’elle a connue lors de sa scolarité, la mettent face à une vieille réputation, l’accusant d’avoir fomenté un mensonge ayant coûté celle d’un homme ; si tout est dit à demi mot, on se doute de quel genre d’accusation il s’agit, et on comprend à ce moment précis vers quoi tend le métrage. Dans l’obscurité, les peurs font leur apparition, mais il semblerait qu’un autre mal rôde dans l’enceinte hospitalière.

Jouant la carte du lieu hanté d’une célèbre entité vengeresse, The power tombe facilement dans les codes inhérents au genre, et les reproduit minutieusement, au point de faire perdre au film l’originalité de son ambiance – appréciée par ailleurs car nous faisant penser à celle de Saint Maud. Les scènes de possession, intenses et maîtrisées à la mise en scène, perdent en efficacité en ce qu’elles réveillent les grands noms du genre. L’abus de jumpscares et autres artifices, et la répétition de ses scènes lorsque le récit devrait avancer, se transforment en ventre mou qui ne ternit pas l’ensemble mais nous rend quelque peu impatient·e. Mais quand le propos s’assume, et annonce la dualité autour du titre du film, on laisse de côté ces quelques lacunes pour embrasser pleinement la conclusion. The Power, référence littérale aux coupures d’énergie qui régissent les lieux, devient – sans surprises – The Power, le combat de celles qui reprennent le pouvoir sur leurs vies.
Il y a d’ailleurs un parallèle intéressant à faire, objet d’une simple coïncidence ou lecture complémentaire qui apporte du sel à la compréhension du film. Ce fantôme désincarné, qui tente de posséder Valerie pour assouvir sa vengeance, ne parvient plus à s’exprimer autrement que par la violence, justifiant les épisodes criards et poussifs, mais on constate une accalmie dès lors que l’infirmière parvient à identifier l’entité, et à accepter d’être possédé par elle. C’est alors que la mise en scène calme ses effets, lorsque ce démon n’est plus, étant enfin reconnu, et les délires de son hôte enfin considérés comme des vérités. Le fantôme devenant incarné, reprenant l’identité de Gail, une des nombreuses victimes des hommes de l’hôpital, souhaitant forcer Valerie à affronter ce qui lui est arrivé des années plus tôt, et à protéger Saba des sévices à venir si les mêmes coupables restent impunis. Une idée de la sororité qui s’unit pour combattre les bourreaux de tous bords, ceux qui s’exclament, inconscients de la révolte qui se met en place, “Tu ne peux rien contre moi, j’ai du pouvoir”.

Rares sont les histoires de fantômes où le spectre n’est pas nourri de traumas, qu’il ne ne peut plus affronter. The power ne change pas la donne sur ce point, et en choisissant de respecter ses codes, peut-être un peu trop, offre un message fort, pertinent, qui résonne évidemment avec l’actualité. Il parle de ce qui n’est désormais plus sous silence, ne doit plus l’être, et on l’en remercie. On lui souhaite une distribution fructueuse dans quelques mois !
The power, de Corrina Faith. Avec Rose Williams, Emma Rigby, Charlie Carrick… 1h32
Sortie le 16 février 2022