[CRITIQUE] « Le vent se lève, il faut tenter de vivre » (Paul Valéry)

C’est par cette citation de Paul Valéry que s’ouvre Le vent se lève, le dernier film -désormais en date, puisqu’on peut en attendre un nouveau très bientôt – de Miyazaki Hayao. Double biopic très libre, il nous plonge dans l’univers de l’aviation, la poésie et les rêves…

Miyazaki refuse de servir un « simple » biopic. D’abord, en s’inspirant de la vie de deux personnes, à qui il dédie le film : Horikoshi Jir?, l’inventeur génial du chasseur Zéro utilisé par l’armée impériale japonaise lors de la Seconde Guerre Mondiale, et qui donne son nom au personnage principal du film ; Hori Tatsuo, écrivain japonais d’un roman appelé Le Vent se lève en référence à Paul Valéry et ayant introduit la lecture de grands auteurs français au Japon.

Les deux vies s’entremêlent et se répondent. Le film alterne des séquences de la vie de son personnage, mettant en scène le Japon des années 30, avec des séquences de rencontres oniriques avec Caproni, ingénieur en aéronautique italien que Horikoshi admire. Le film acquiert alors une profondeur et une finesse de nuance très intéressante : il évite de glorifier la guerre en passant par l’admiration pour un personnage dont le travail a largement participé à l’effort de guerre japonais, et en montre même ses limites.


Bien au contraire, Le vent se lève est une manifestation du pacifisme défendu par Miyazaki, mettant en évidence l’absurdité et l’arbitraire du régime impérialiste japonais (mais aussi du régime nazi allemand) qui se met en place au cours des années 1920 et 1930.

Studio Ghibli

Mais c’est bien son amour inconditionnel pour l’aviation et l’ingénierie qui sont mis en exposition ici. Le rapport au vol est omniprésent dans sa filmographie, de manière explicite ou non, du Château Dans Le Ciel à Porco Rosso. Le Vent se lève est une manière pour lui d’en expliquer l’origine, la filiation. Ghibli était déjà le nom d’un avion italien. Ici, l’avion est une métaphore du rêve de s’échapper de son existence terrestre pour rejoindre l’immense univers du ciel. De la même façon que Horikoshi tient sa passion de l’aviation de ses prédécesseurs, Miyazaki réalise un film sur le rêve, pour transmettre à son tour sa passion du vol, de l’évasion, et qui est source de liberté, mais surtout de création. Le rêve est le moteur de la créativité. Il ne suffit pas de faire un avion, de le fabriquer, il faut aussi en faire un beau. Il s’agit donc de faire basculer l’artisanat et l’industrie vers l’art. Une seule chose est nécessaire à ceci : le travail.

Mais pas n’importe lequel. Le film se dote donc d’une dimension autobiographique, en quelque sorte, en étant le chant du cygne d’un auteur qui peine à tourner la page et à transmettre définitivement son héritage, mais aussi donnant les clés de sa créativité. Le travail ainsi encouragé est celui qui libère, non l’aliénant travail pénible et répétitif du monde industriel. Ce travail qui libère est celui où l’on marque son passage sur Terre par un acte de créativité singulier.

Le vent se lève s’intègre dans cette démarche. Jamais l’animation et le dessin n’ont été aussi détaillés, aussi fluides. Miyazaki a parfait son savoir-faire, et s’autorise des libertés. Les bruitages du séisme, du vent, des machines, sont réalisés à partir de voix humaines. Cet anthropomorphisme rend à la fois fascinant et terrifiant ces éléments qui nous paraissent si anodin dans la vie quotidienne. Et justement, l’art n’est-il un moyen de donner de l’importance et du sens à des choses insignifiantes à première vue ?

Le Vent se lève expose l’idée de guerre, de lutte contre la maladie, du désespoir d’une période. Et pourtant, c’est bien un film de vie : il faut parfois accepter les choses qui nous arrivent, et décider de notre bonheur en profitant de chaque instant précieux ; en « travaillant » pour donner du sens à sa propre existence. Quand le vent se lève, il faut tenter de vivre.

Le Vent se lève, Miyazaki Hayao. Avec les voix de Anno Hideaki Takimoto Miori… 2h06

Sorti le 22 janvier 2014

2 Commantaire
  • 21/07/2021 at 01:33
    Rainbow

    Article super bien écrit. Quelle justesse dans l’analyse ! Merci.

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