[CRITIQUE] Les heures sombres : Le choix de Winston

Parmi les figures historiques du siècle dernier, Winston Churchill est sans nul doute l’un des plus incarnés au cinéma et à la télévision avec près de 22 interprétations. Personnage haut en couleur et à la verve aiguisée, le Premier ministre anglais n’en finit pas d’attiser la curiosité des cinéastes et pour cause, sa vie fut riche de moments et d’événements dignes d’être racontés. En 2017, c’est le réalisateur des longs-métrages Orgueils et Préjugés, Anna Karénine ou plus récemment Cyrano, Joe Wright, qui s’attelle à la vie du politicien et notamment à son mois de mai 1940 et son accession aux plus hautes fonctions.

Alors que l’Allemagne nazie gagne du terrain en Europe et s’attaque à la Belgique et la France, l’Angleterre est empêtrée dans un bourbier politique et au changement de son Premier ministre. Choix d’un calcul politique plus que d’une adhésion sincère, Winston Churchill entre au 10 Downing Street au début du mois et doit choisir entre la négociation ou la guerre avec Hitler malgré les pressions de tous bords et l’aspect cornélien des décisions à prendre.

Universal Pictures

Adaptation du roman éponyme d’Anthony McCarten, Les Heures Sombres est un thriller historique et politique qui au-delà du destin d’un homme, est également le récit du destin d’un pays, d’un continent. En nous plongeant dans l’esprit de Churchill, Joe Wright interroge sur les qualités d’un chef d’État en temps de guerre et sur la responsabilité qui pèse sur celui-ci. Chacune de ses décisions influe sur le sort d’une nation et des vies humaines qui la composent. Ainsi, au cours du mois de mai 1940, l’Angleterre a eu à gérer la débâcle française et les événements de Dunkerque en plus des perturbations politiques entre les partisans de la reddition et ceux de l’entrée en guerre. Le cinéaste s’affranchit de quelques faits historiques ou commet quelques raccourcis pour se permettre de raconter la grande Histoire malgré la courte période du récit (un mois). Il ne verse pas pour autant – fort heureusement – dans la fiction complète. Des arrangements que l’on pardonne tant l’intensité de ces jours suffisent à combler les approximations du conteur.

Toutefois, l’une des craintes qui pouvait surgir face à l’adaptation du roman en thriller politique est que ce dernier verse instantanément dans le pamphlet verbeux et pesant à la gloire du victorieux belligérant. Il n’en est rien et Joe Wright évite cet écueil en axant le long-métrage sur la psychologie du personnage qui ne cesse de s’agiter en quête de solutions. Cela se traduit à l’image par un rythme alternant entre scènes turbulentes et moments de calme anxieux. De même, l’alternance frénétique des plans permet de donner aux échanges politiques des allures de duel au soleil en offrant la part belle aux interprétations des acteurs. Et c’est ici aussi une autre inquiétude qui s’efface. Jouer un personnage tel que Winston Churchill réclame un acteur de talent. Le choix de Gary Oldman surprend tant l’apparence physique des deux hommes est peu semblable. De plus, même si l’acteur n’a plus à démontrer son talent, il est toujours difficile d’allier maquillage réussi et jeu d’acteur expressif sous une couche de plusieurs kilos de latex (comme nous l’a prouvé l’inconsistante interprétation de Jared Leto dans House Of Gucci). Il pouvait être inquiétant d’imaginer l’acteur dans le rôle, et pourtant, il propose une interprétation magistrale du tribun sous un grimage saisissant qui permet au film de repartir avec de belles récompenses. Face à Oldman, les seconds rôles tenus par Ben Mendelsohn, Kristin Scott Thomas ou encore Lily James sont d’une remarquable justesse, évitant le traditionnel écart de jeu entre la vedette et le reste de ses comparses. Une belle alchimie pour un long-métrage centré sur les échanges et qui n’en demandait pas moins.

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Dans sa volonté de créer un palais mental autour du chef d’État, Joe Wright retranscrit à l’aide du décor et de la composition de ses plans l’enfermement d’un homme aussi bien dans une situation que dans un labyrinthe de choix. La majorité du film se déroule entre les murs du cabinet de guerre, du 10 Downing Street, ou de Buckingham Palace, plongeant le personnage dans de sombres ambiances aux teintes orangées des lumières artificielles que ne viennent découper que les rayons d’un soleil lointain. Un jeu sur la lumière naturelle qui imprime le cheminement de pensée du politicien. Déambulant dans des pièces obscures, en plein contre-jour, ou se perdant dans les couloirs bruyants du bunker de guerre, Churchill analyse ses options et les différentes voies qui s’offrent à lui. Dans une scène de complet désespoir et d’abandon de ses convictions, le personnage se retrouve transposé dans une pièce délabrée et dont la démesure du mobilier le rapetisse, un bel exemple de la mise en scène de Wright qui construit ses décors autour de la psyché dubitative et fragile de son héros.

 Cette démesure des décors qui composent les plans du réalisateur, on la retrouve à chaque fois qu’il représente autour de ses protagonistes, des lieux emblématiques de la nation (Buckingham Palace, la chambre du parlement, le ministère…). De cette manière, il nous rappelle qu’au-delà de l’avenir de leurs carrières politiques, c’est la nation toute entière qui est menacée et qui reste le véritable enjeu de ces affrontements de chambres. Cadres resserrés, décors écrasants, plans zénithaux scellant le sort des personnages et projetant une projection de l’imagination de Churchill, tout est fait pour nous proposer une vraie expérience étouffante visant à nous faire partager les impossibles choix de ces heures sombres. 

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En conclusion, Les Heures Sombres est un bel exemple d’une adaptation réussie et d’un admirable travail de réalisation pour sortir des hernies du film biographique historique par la voie du thriller politique. On note notamment l’excellente transition qui s’opère entre un champ de bataille et le corps d’un soldat victime de la guerre qui offre un éclat visuel impactant qui permet de rappeler les dessous d’une carte d’État Major : la perte de vies humaines. Un long-métrage mené harmonieusement aussi bien par un rythme plaisant que par la prestation de Gary Oldman qui crève l’écran notamment lorsqu’il reprend les discours emblématiques de Churchill. Un savant mélange qui est nécessaire au récit d’un mois qui changea l’histoire de l’Angleterre et du vieux continent. 

Les heures sombres, de Joe Wright. Écrit par Anthony McCarten. Avec Gary Oldman, Kristin Scott Thomas, Lily James… 2h06
Sorti le 3 janvier 2018

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