Avec Dimitri, nous avons critiqué la série Obi-Wan Kenobi, mais nous ne voulions pas en rester là. Tous les reproches faits nous ont sauté aux yeux dans bon nombre d’autres productions de Disney + (Book of Boba Fett, The Mandalorian…), des productions qui semblent, selon nous, avoir abandonné toutes envies artistiques et créatives au seul profit du remplissage d’une plateforme.
Produire en quantité
Les stratégies des studios américains sont en constante mutation mais l’objectif ne change pas : la rentabilité. Logique quand il s’agit d’une industrie comme celle de Disney (et Hollywood plus largement), personne ne produit quelque chose pour ne pas avoir un retour sur l’investissement. La rentabilité d’un film au cinéma se basait sur son nombre d’entrées et ses ventes en produits dérivés (pour une partie d’entre eux). Sur les plateformes, c’est plus compliqué de rentabiliser une œuvre avec un abonnement global. Il faut donc produire, et en quantité, pour attirer le maximum de personnes et les faire rester. Produire sur de vieilles histoires plutôt que d’en créer de nouvelles.
Cela se frotte, déjà, aux ambitions artistiques. Pour Obi-Wan Kenobi par exemple, l’histoire avait été pensée comme un film mais l’échec de Solo en 2018 a rebattu les cartes et a fait migrer l’histoire vers une mini-série pour Disney +. Passer d’un film d’à peu près deux heures à une série de six épisodes de quarante minutes (soit quatre heures en tout), ce n’est pas évident. Il faut enrichir le scénario et l’agrémenter de nouvelles histoires. Il n’est pas possible de tenir en haleine un·e spectateur·ice avec le même récit en deux fois plus de temps. Cela se ressent énormément dans la série, l’histoire est beaucoup trop longue et étirée pour ce qu’il y a à raconter. La quantité est aussi un vecteur attractif, il faut produire tant d’épisodes pour susciter le désir, l’envie de voir la suite des aventures.
Cette volonté de produire un maximum ne se fait pas pour des raisons scénaristiques ou artistiques, la série regorgeant de moments déjà vus dans l’univers Star Wars (les héros qui veulent s’introduire dans un vaisseau ennemi, l’Empire qui assiège une base rebelle…). Tout a déjà été vu, et même revu, en mieux, même visuellement, la production abusant de la nouvelle technologie StageCraft, cet écran qui encercle presque entièrement un lieu de tournage pour mélanger le décor réel et les images virtuelles. Cela aseptise totalement l’image, chaque scène se ressemble. Dans un univers spatial aussi riche, le fait d’avoir autant l’impression de voir des personnages confinés dans un espace restreint, c’est tout de même problématique. Cette technologie donne uniquement l’illusion de la profondeur de champ mais toute l’action se concentre sur une partie (très visible) du décor. Autre problème de ses productions : limiter les coûts en réutilisant au maximum les technologies utilisées.
Divers mais pas variés
Avec sa plateforme de SVOD, Disney entend capitaliser sur les franchises populaire dont il est propriétaire (Star Wars, Pixar, Marvel). Sa situation monopole sur la création (les idées), la production (tournage…), la distribution (vendre les contenus) et l’exploitation (diffuser les œuvres au public) permet au géant américain de créer autant qu’il le souhaite, sans devoir répondre à un calendrier (comme c’est le cas au cinéma) ou à une logique des publics. En effet, l’avantage avec cette exploitation par Disney +, c’est de rentrer un peu plus dans les habitations. Quand le déplacement dans une salle obscure est un effort, les contenus proposés directement sur la plateforme peuvent accompagner directement le quotidien et enlever le côté événementiel de l’activité culturelle. Ces productions doivent s’enchaîner pour légitimer l’abonnement à une plateforme, comme nous le disions plus haut, elles ne sont pas crées avec une approche qualitative. Parce qu’il n’est pas possible, humainement, d’avoir une volonté créative de qualité avec un calendrier aussi dense en terme de sorties et de continuité en fonction des franchises (comme ci-dessous).

Si bien que la franchise Star Wars sur Disney + est davantage une mise en avant d’un personnage secondaire (comme Ahsoka ou Andor prochainement) ou tentative de raconter la vie d’un personnage emblématique sur une période donnée (comme Obi-Wan ou Book of Boba Fett) pour jouer sur la nostalgie des spectateur·ices. Voilà un autre souci de ces nouvelles productions : vouloir toucher un public de nostalgiques et des nouveaux·velles curieux·ses. L’idée de plaire à tout le monde en somme, une idée qui pousse à l’uniformisation des contenus au niveau visuel et narratif. Dans ce contexte, avoir un·e créateur·ice qui veut imposer une patte sur un univers connu devient presque utopique. Disney avait donné les clefs à trois réalisateurs différents sur sa dernière postlogie (J.J Abrams, Rian Johnson, Colin Trevorrow) qui auraient dû participer aussi à l’écriture du scénario. La réception catastrophique de l’Episode VIII de Rian Johnson chez les fans aura raison de cette « folie créative », J.J Abrams sera de retour pour conclure une trilogie qu’il a lui même entamée.
À travers cette histoire, il est utile de rappeler qu’il n’y a pas que les studios (et les plateformes) qui sont responsables de cette baisse significative de la qualité des blockbusters au cinéma ou à la télévision, certaines communautés de fans nivellant par le bas un objet culturel (et toute sa mythologie) pour que les producteurs leur donnent ce qu’ils veulent. Là où on peut discuter, calmement, de la qualité de l’opus de Johnson, on peut aussi lui reconnaître une volonté de s’approprier une œuvre, un univers et d’en proposer sa version : ce que l’on demande à un metteur en scène. Désormais, les studios vont se tourner vers les attentes du public, pour les combler, sans se soucier des questions de mise en scène, de trame narrative ou d’identification (comme avec Spiderman : No Way Home). Or, même avec des films à très gros budget, le cinéma a toujours eu une volonté de perturber certains codes et de proposer des œuvres fortes qui sortent de sentiers battus par une approche décalée ou significative (comme Joker récemment).
Spectateur·ice, unissons-nous !
Un terme devient de plus en plus dérisoire dans la production mais aussi dans l’attente des publics : l’exigence. L’exigence de vouloir passer suffisamment de temps à peaufiner un scénario, à l’écrire, le faire relire, le réécrire et ainsi de suite, ce qui semble difficile à concevoir avec cette politique de remplissage qui uniformise tous les contenus et baisse le niveau de rigueur des productions sur tous les plans (l’écriture, la réalisation, les décors..). Cette exigence, nous devons également l’appliquer à nous-même, spectateur·ices, car quand cette politique est en marche, il n’y a que le désintérêt du public qui peut la faire réfléchir. Les chiffres d’une sortie cinéma sont connus, ce qui permet de voir si un film a pu trouver son public et d’autres biais (le maintien d’une bonne fréquentation, le bouche à oreille…) permettent également de savoir si le film a plu à une partie de celleux qui se sont déplacé·es. Les différentes plateformes de SVOD ne sont pas aussi transparentes sur les audiences et la réception de leurs contenus, rien ne les y oblige légalement. Ils communiquent sur leurs succès mais jamais sur leurs échecs, se contentant de ne pas reconduire une série ou un film pour une suite. Cette obscurité par rapport à la réception fait aussi partie de la stratégie globale de remplissage où il n’y a pas d’intérêt pour eux à passer plus de temps sur la qualité de leurs contenus. Pour revenir à Obi-Wan, même si tout le monde s’accorde sur la nullité générale de la série et de son propos, quelle solution pour tou·tes ? Le désabonnement ? Compliqué de l’envisager à grande échelle car certaines personnes ne sont peut-être pas abonnées à Disney + pour juste les séries Star Wars, leur catalogue est suffisamment riche (pas en qualité donc) pour pouvoir balayer cette possibilité chez la majorité des spectateur·ices. Il faut aussi prendre en compte les multi-usages d’une plateforme dans un cadre familial ou amical avec plusieurs profils reliés à un même compte mais pas forcement aux mêmes usages et attentes.
La solution réside dans notre niveau d’exigence. Le cinéma, et l’art de manière générale, sont là pour nous éclairer sur le monde en nous éduquant aux images, les comprendre, les assimiler et les analyser. Cette culture commune se partage dans les cinémas de proximité, dans les cercles familiaux ou amicaux, sur les réseaux ou dans les ciné-clubs. Plus quelqu’un·e va être conscient·e des notions basiques du cinéma (la mise en scène, le scénario…) plus ses sens seront aiguisés lors d’une séance. Face au nivellement par le bas de certains contenus, avec l’arrivée de certains supports mais également du format sclérosé du cinéma qui attend le nouveau Marvel comme un messie, l’éducation aux images des spectateur·ices est la seule solution pour balayer ces œuvres qui ont abandonné toutes ambitions artistiques et créatives. Comprendre les images, c’est bien plus valorisant que de les subir non ?
[…] re-citer l’excellent article de notre chère Mayssa, Willow est un reflet édifiant du faible niveau des blockbusters sériels. Son scénario est proche […]