Au-delà de ses deux excursions dans le cinéma mainstream avec Aquaman et Fast & Furious 7, James Wan aime s’illustrer dans l’horreur, particulièrement dénicher des idées de concept. Pas facile de trouver un nouveau filon lorsqu’avec Saw et Conjuring, on a été l’instigateur de deux sagas à grand succès – quelle que soit la qualité des métrages qui les composent d’ailleurs –, et qu’il faut tenter de renouveler un genre qui, sans réellement s’épuiser, est énormément abordé, et peut vite tomber dans la redondance. Avec Malignant, il s’intéresse à un format hybride, et sa capacité à brouiller ses pistes est autant sa qualité essentielle, qu’il a déjà illustré dans son cinéma, que ce qui lui fait défaut.
Pour Madison Mitchell, le trauma est une affaire de quotidien. Issue d’un passé trouble sur lequel elle ne sait que peu de choses (elle n’a de souvenirs qu’après son adoption), la jeune femme est enfermée dans une relation toxique avec un conjoint violent, réfugié dans l’alcoolisme, qui lui reproche ses multiples fausses couches et utilise ce prétexte pour s’en servir de punching ball. À cette réalité morbide s’ajoutent des visions, des rêves étranges, où elle perçoit une entité qui semble être bien plus qu’un objet de cauchemar. Un soir que son conjoint est assassiné, et qu’au vu des éléments et circonstances, tout concorde à penser que Madison a fait le coup, son interprétation, vers laquelle la police accepte rapidement de tendre – quel plaisir de ne pas voir le cliché de la femme que l’on refuse de croire et qui est immédiatement catégorisée de folle ! –, est tout autre : l’entité en question est présente, et est responsable du meurtre. Un jeu d’enquête se met peu à peu en place, par la police, Madison, mais aussi sa sœur (de sa famille adoptive), et les révélations s’acheminent, pour complexifier l’intrigue et mener vers une phase plus démonstrative.
À travers sa première partie centrée sur l’enquête et les différents troubles mystérieux entourant son héroïne, James Wan fait un étalage de tous les clichés qui sont à sa portée. Ses films les plus connus, notamment Conjuring, s’ils sont bien exécutés, sont souvent une synthèse des genres que le réalisateur aime et avec lesquels il aime jouer. Peu de surprises lorsque dans Malignant, il s’amuse à jongler avec les styles, jusqu’à ce que le rendu frôle la caricature. Des pistes constamment brouillées, qui mettent le flou sur le sous-genre de l’horreur qu’il essaie d’arpenter – mais non sur la résolution de l’intrigue, qui elle est claire dans le gros de ses traits –, mais qui surtout sonnent faux, manquent d’ampleur, et sont accompagnées d’un déjà-vu qui agace parce que trop appuyé. Dommage tant dès l’amorce du dernier quart, on réalise que cet amoncellement de clichés était totalement volontaire, et sert l’effet de surprise voulu.

James Wan est un petit malin qui se complait à retourner son public. Contrairement à un Saw qui déjoue ses enjeux par un twist simple, sous les yeux de son public depuis les débuts, Malignant réitère la surprise mais dans l’autre sens, plonge dans l’inédit, nous met dans des zones trop connues pour que l’esprit s’endorme, se sente en confiance et soit totalement chamboulé par sa rupture de ton. Dès que les pièces du puzzle sont assemblées, le métrage décolle, dévoile son identité, puissante et malicieuse. La mise en scène devient incarnée dans cette horreur qui côtoie l’action, avec une caméra qui se faufile partout, redevient reine de son procédé visuel, et joue de toutes ses séquences. À la manière d’un Invisible Man, Malignant ne joue plus de mystère envers son antagoniste une fois ce dernier dévoilé, et se plonge dans une action bourrine, des séquences qui flirtent avec le kung-fu – et on s’attendait à tout sauf à ça – et qui dans son grotesque ne manque jamais de maîtrise. Un caractère jusqu’au-boutiste qui s’installe, n’hésite jamais à forcer le trait quitte à lorgner vers la parodie totale, mais qui est généreux à chaque seconde.
Les qualités et les défauts se mêlent, et ce qui apparaît comme un coup de génie, rendant ce métrage semble-t-il générique surprenant à souhait, le fait aussi entrer dans sa limite. Difficile à appréhender, Malignant est tant garant des éloges qui lui sont faites – et que nous rejoignons, notamment pour sa deuxième partie – que des critiques virulentes dont il est l’objet. Si l’on comprend l’intérêt d’une première partie enchaînant les éléments ressassés par jouer de surprise, on ne peut nier que sa longueur entraîne une certaine redondance. Brouiller les pistes est un atout, plonger son/sa spectateur·ice dans un ennui et un certain énervement justifié en est un autre. Quant à la seconde partie, ce sera plus une question d’acceptation d’un postulat complet, manquant de finesse pour pouvoir embrasser son caractère loufoque. À ce titre, si nous avons été parfaitement emballés par la démarche, on comprend que beaucoup aient pu être laissés de côté.
Avec Malignant, James Wan réussit un nouveau coup, emmenant son audience dans un nouvel exercice de mauvais goût, qui peut sembler lourd et abusif – et en soi, il l’est – mais qui s’avère jouissif si l’on accepte de s’y plonger. Dommage que l’équilibre, malgré l’intelligence du scénario, ne soit pas idéal, et que l’introduction trop longuette plombe une idée qui a tout de l’exercice brillant. Un frein évident, mais une fois les soucis acceptés, le plaisir est total, le bancal devient un atout, la montagne russe est efficace !
Malignant, de James Wan. Avec Annabelle Wallis, Mackenna Grace, Ingrid Bisu…1h51
Sorti le 1er septembre 2021
[…] D’un côté, James Wan pousse les curseurs à fond avec son Malignant (déjà chroniqué ici). De l’autre, c’est Edgar Wright qui invoque le genre par le biais de son Last Night in […]