Alors qu’il sort d’un grand succès avec Au revoir les enfants, ayant marqué son retour en France, Louis Malle enchaîne avec une comédie dans laquelle il revient sur un autre événement récent marquant de l’histoire de France. Il s’épaule donc de Jean-Claude Carrière au scénario, avec qui il avait déjà collaboré vingt-cinq ans plus tôt sur Viva Maria ! pour offrir une pure comédie sur les tourments de la bourgeoisie de province durant les révoltes de mai 68. Venant conclure la carte blanche du Festival de La Rochelle, en guise d’hommage à Michel Piccoli, il réunit les spectateurs encore trente ans après pour le meilleur, mais surtout pour le rire.
Milou (Michel Piccoli), grand enfant, vit toujours chez sa mère et profite de la vie au jour le jour. Quand cette dernière meurt subitement, alors qu’en parallèle les étudiants de la Sorbonne se soulèvent, c’est le début d’une longue réunion de famille. Les rancœurs enfouies depuis longtemps s’apprêtent à resurgir pour le partage de l’héritage avec comme question centrale : que faire de la maison ? Milou y vit et ne veut pas la quitter alors que sa fratrie désire vendre. Louis Malle part donc d’un postulat grave avec ce décès inopiné, les tensions qu’il révèle et le contexte d’un monde en pleine évolution. Pourtant, l’apitoiement et le drame sont loin d’être au programme. Le cinéaste joue avec ton d’une grande légèreté, transformant le triste événement en source d’hilarité. Jeux avec le cadre, comique de situation, dialogues bien sentis, on a là un travail humoristique de haute volée.
Le tout est servi par une distribution qualitative. Michel Piccoli déjà, qui envahit l’écran par sa présence folle et bienveillante ici. Il est d’une truculence délicieuse, avec son regard espiègle et curieux qui accompagne celui des enfants, notamment Jeanne Herry avec qui il partage de beaux moments de complicité durant le film. À côté, on a Miou-Miou en bourgeoise bien trempée, cupide et délurée, l’excellente Dominique Blanc en ancienne pianiste lesbienne, Michel Duchaussoy en journaliste qui se prend pour un playboy bilingue, sans parler des apparitions successives de François Berléand, Bruno Carette, pour son ultime rôle, et Valérie Lemercier pour son premier. Bref, une équipe de rêve.

Les blagues sont alors d’une irrévérence absolue. La dépouille de Madame Vieuzac présentée dans le salon est au centre des situations les plus incongrues. On préfère écouter la radio et les nouvelles sur De Gaulle plutôt que de lui accorder une prière, les couples ne sont qu’illusion, l’infidélité, et même une forme de libertinage cogne à chaque porte. Car c’est finalement ce qui fait la sève de ce petit bijou, l’un des derniers de Malle, ce mélange constant entre sexe et politique. On rit de ces personnages effrayés à l’idée de perdre leurs privilèges, tout comme on rit des nombreuses blagues, parfois vulgaires, sur l’objet suprême de convoitise : la femme d’autrui. Pour autant, on ne sent jamais de lourdeur. Tout garde une dimension presque poétique, grâce entre autres à la présence des enfants et leurs questions innocentes, nous offrant de beaux rires comme lorsqu’on entend “Papi, c’est quoi le foutre ?”. Cet équilibre tonal permanent, allié à un dosage méticuleux des traits d’humour, jamais trop présents, traduit le très bon travail d’écriture, qui nous surprend jusqu’à l’épilogue.
Alors on rit, on rit, on rit, mais l’on s’émeut aussi devant un Michel Piccoli qui pèche des écrevisses à mains nues, on est surpris quand le film prend une sorte de tournure post-apocalyptique dans sa deuxième partie avec la fuite de la maison, bref on vit. Et c’est peut-être ça qui compte finalement. Le fait qu’un décès, et ses conséquences, amène une forte vitalité dans cette vieille maison, une énergie folle à l’image des contestations ayant lieu à Paris en même temps, que l’on retrouve aussi dans la mise en scène très inspirée de Louis Malle, loin de se contenter de filmer ses comédiens faire les clowns autour d’une défunte. Il place sa caméra avec beaucoup de pertinence créant parfois gags tardifs, nécessitant un mouvement d’acteur dans l’arrière comme le premier plan ou un dézoom révélant un élément drôle. On a alors une merveille scénaristique mais un vrai
Toute une science de la comédie joliment exploitée par Malle et Carrière donc, pour nous faire vivre des funérailles inoubliables qui servent de prétexte à montrer le ridicule d’une certaine classe, sans pour autant oublier de nous attendrir. La toute dernière séquence est plus que jamais gravée dans les mémoires, avec un désormais regretté Piccoli, heureux et dansant dans ce rôle capturant bien sa personnalité, sur une pellicule et pour l’éternité.
Milou en mai de Louis Malle. Avec Michel Piccoli, Dominique Blanc, Miou-Miou, … 1h47
Sortie le 24 janvier 1990.