Sortie sur Netflix récemment, la série Monster : The Jeffrey Dahmer Story fait partie de cette vague morbide visant à surfer sur la “célébrité” de tueur·ses en série pour en faire des adaptations questionnables, n’ayant finalement pour effet que de romantiser ces figures sans égard pour leurs victimes (on se souvient de Zac Efron en Ted Bundy pour Netflix en 2019). Il semblerait logique que cette nouvelle série sur les meurtres de Jeffrey Dahmer suive la même lignée et pourtant, la nouvelle production de Ryan Murphy se distingue, en faisant la seule chose que ses comparses ont tendance à oublier : pointer sa caméra sur les victimes et non plus l’agresseur.
En dix épisodes, Monster : The Jeffrey Dahmer Story revient sur le contexte socio-politique des meurtres de Jeffrey Dahmer et tente d’expliquer, de sa naissance jusqu’à sa mort, comment les erreurs du système lui ont permis de tuer 17 hommes entre 1978 et 1991. La grande qualité de la série réside dans la dimension humaine des évènements racontés. Le but n’est pas dirigé vers le sensationnel car la série ne raconte pas l’histoire du “cannibale de Milwaukee” mais bien des vies qu’il a brisé, des familles, proches et voisin·es des victimes. Elle présente ainsi des portraits auxquels on ne penserait pas, comme son père Lionel Dahmer, figure psychologiquement complexe et brillamment interprétée par Richard Jenkins. Rarement (voire jamais) graphique, la série ne manque cependant pas de choquer devant le concours de circonstances mortel et presque surréaliste (des policiers qui escortent un garçon de 14 ans drogué chez Dahmer sans poser de questions…) qui ont permis à 17 hommes de perdre la vie. Tant de fois, Dahmer aurait pu être arrêté, tant de fois des gens auraient pu tirer la sonnette d’alarme, mais personne ne fait rien. C’est un gigantesque cas Kitty Genovese tel que les Américain·es se plaisent à l’appeler : tout le monde voit, tout le monde entend, personne ne fait rien.

L’apparition d’un monstre tel que Dahmer est finalement moins la faute de traumatismes divers que d’une société formatée par les apparences. Après tout, des choses affreuses arrivent à tout le monde mais tout le monde ne devient pas tueur·se. À travers un Evan Peters encore et toujours phénoménal, Ryan Murphy ne montre pas Dahmer comme un enfant brisé ou un homme traumatisé que l’on prend en pitié comme il a été si souvent décrit. La réalité est plus simple et pourtant plus compliquée à accepter : c’était un homme blanc dans les États-Unis racistes des années 80 qui a profité de ce contexte pour assouvir ses pulsions meurtrières, un homme jamais véritablement puni et inquiété pour divers crimes commis (pédocriminalité, vol, agression, etc.) avant la découverte de l’horreur dans son appartement. Ce faisant, la série questionne son audience sur les responsables de la naissance de Jeffrey Dahmer en tant que tueur et là encore, le constat effraie : tout le monde et à la fois personne n’est coupable. Ce tout le monde inclus la police, le père, la mère et la grand-mère de Dahmer, peut-être même le propriétaire de son immeuble, aveugle et sourd face aux suspicions, mais le “personne” reste important : quand tout disparaît, le seul coupable reste Dahmer car aucun mot, aucun geste ne pourrait jamais expliquer ses actions. La série est réaliste : tant que les seules personnes qui souffrent sont marginalisées par le système, le système ne fera rien pour les protéger, un propos douloureusement actuel, plus de 30 ans après les faits. Rien n’est manichéen et on assiste presque à une analyse des extrêmes humains et sociétaux de l’Amérique moderne, jusqu’à mentionner d’autres tueur·ses de l’époque comme John Wayne Gacy qui tuait des jeunes garçons pauvres dont le meurtre était moins susceptible d’attirer l’attention des autorités. Cette société si brisée voit les opposés cohabiter : un tueur en série reçoit des lettres d’admiration et est permis de vivre tranquillement en prison alors que la famille du garçon de 14 ans qu’il a tué est nuit et jour harcelée par des appels anonymes racistes et purement sadiques ; un tueur démembre des victimes dans son appartement alors que la voisine qui prévient la police est ignorée plusieurs dizaines de fois ; 17 victimes perdent la vie et leur tueur dîne en toute tranquillité avec sa famille.

Finalement, Monster : The Jeffrey Dahmer Story parle moins du tueur en lui-même que de toutes les circonstances qui lui ont permis de ne pas être inquiété pendant plus d’une décennie. Ce n’est pas l’histoire de Jeffrey Dahmer mais celle de Steven, Ricky, Joseph, Anthony, Jamie, Richard, Jérémy, Matt, David, Curtis, Edward, Konerak, Anthony, Ernest, Errol, Steven et Olivier. C’est l’histoire d’une société divisée qui punit les oppressé·es et laissent les oppresseur·ses vivre en toute quiétude, celle d’un système qui est toujours le nôtre aujourd’hui, homophobe et infiniment raciste car il est toujours bon de le rappeler : une personne de couleur n’est pas victime de racisme que dans les remarques d’autrui, mais bien dans la manière dont le collectif dont elle fait partie choisit de la traiter.
Monster : The Jeffrey Dahmer Story créé par Ryan Murphy et Ian Brennan. Avec Evan Peters, Richard Jenkins, Penelope Ann Miller.
10 épisodes de 60 minutes disponibles sur Netflix