[CRITIQUE] Blonde : folie et (dés)illusion

Sans nul doute un des films les plus attendus de l’année, Blonde marque le retour d’Andrew Dominik derrière la caméra, dix ans exactement après la sortie de Cogan : Killing them softly. Le réalisateur néo-zélandais connu, entre autres, pour The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, effectue avec ce nouveau film un virage à 180 degrés et choisit d’adapter le roman de Joyce Carol Oates relatant la vie de l’actrice Marilyn Monroe. Reprenant son thème fétiche de la déconstruction du mythe, Dominik emmène son personnage principal à travers les méandres de ses traumatismes et déroule en presque trois heures la descente aux enfers de l’une des plus grandes icônes américaines pour un résultat final qui, sans être franchement mauvais, ne manque pas de laisser perplexe.

Dès les premières minutes, la caméra semble être considérée tel un personnage à part entière, ce qui est pertinent lorsque l’on parle de Marilyn Monroe, elle-même constamment sous le feu des projecteurs. Jouant sans cesse sur les surcadrages, mouvements de caméra et ratios, le réalisateur immerge totalement l’audience dans l’esprit torturé de son personnage avec une main d’expert et une direction artistique flamboyante et réfléchie qui vient appuyer un onirisme perpétuellement présent. Tout comme l’esprit de Monroe, le film navigue entre illusion et réalité, les deux se confrontant visuellement, notamment dans l’utilisation d’un noir et blanc magnifique qui joue sur la figure solaire de Marilyn : souvent plongée dans une foule amassée autour d’elle, elle est, lors de ces moments publics, vêtue d’un blanc qui contraste avec le noir des tenues de ceux qui l’entourent, contrairement aux instants privés qui la voient s’habiller de vêtements sombres. Le message semble clair : en public, Norma Jean redevient Marilyn, agneau blanc au milieu des loups. 

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Si Blonde peut se targuer d’une direction artistique et d’une mise en scène magnifiques qui rendent difficiles toutes critiques sur sa forme, il n’en va pas de même pour son fond. De son personnage principal et de ses 36 années d’existence, Andrew Dominik (et Joyce Carol Oates avant lui) ne parvient à extraire que la souffrance et semble incapable de voir Marilyn en dehors de son statut de victime. Monroe ne semble posséder aucun pouvoir sur sa propre histoire et aucune possibilité de salut, chaque occasion de bonheur (comme l’arrivée d’un enfant qui lui reproche l’avortement du précédant…) étant invariablement maudite. Le gros problème du film réside ainsi dans la manière qu’a Dominik d’exploiter les souffrances de Marilyn dans son portrait des extrêmes hollywoodiens, ce qui est d’autant plus de mauvais goût que l’on parle d’une femme qui a été exploitée toute sa vie et même après sa mort.

Entre viols, nudité injustifiée (le ton d’une scène change-t’il vraiment si Ana de Armas a le malheur de porter un pull ?) et relations sexuelles totalement inventées et franchement peu utiles au scénario et au portrait du personnage principal, la Marilyn de Dominik ne gravite qu’autour du prisme masculin, elle n’existe que pour être le fantasme idéal comme dans cette scène absolument surréaliste où, seins nus, Marilyn se fait gifler par son mari Joe DiMaggio (qu’elle appelle, comme tous les hommes de sa vie, Daddy parce que, bien sûr, c’est ainsi qu’une femme aussi « lascive » que Monroe référerait à son amant en public) avant de lui professer son amour inconditionnel à genoux. Extase féminine et souffrance féminine ne font qu’un dans la représentation que fait le film de la sexualité de son personnage principal, ne la tuant uniquement quand l’invitation de sa sensualité et de son innocence apparente ne sont plus aussi irrésistibles pour l’œil masculin. Le male gaze noie presque chaque plan du film, rendant le tout absolument navrant alors que le propos du film est si pertinent, surtout dans le Hollywood post-me too. Il ne manquait qu’une chose fondamentale à Dominik pour son biopic : la compassion, une compassion nécessaire pour aborder une histoire pareille. Les choses sont paradoxales alors que le réalisateur veut dénoncer l’exploitation de Monroe en l’exploitant lui-même à travers Ana de Armas qui, malgré tous les défauts du film, se révèle absolument somptueuse en Marilyn Monroe, amenant autant d’humanité que possible à un personnage qui ne s’en voit accorder que très peu.

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Vendu comme biopic, Blonde n’est en réalité ni l’histoire de Marilyn Monroe, ni celle de Norma Jeane Mortensen : c’est le récit de leurs abus constants. Dominik peine à masquer son exploitation de son personnage principal, exploitation qu’il tente vainement de dénoncer mais qui n’est que de mauvais goût au vu de tout ce qu’a vécu la vraie Marilyn, dont on n’apprend ici à connaître que le statut de victime, en passant sous silence tout ce qui faisait d’elle un humain. Cette représentation frisant à de nombreuses reprises (voire continuellement) l’irrespect total est d’autant plus regrettable que le film aurait sincèrement pu être bon au vu de son propos de fond pertinent sur les abus et extrêmes que l’industrie du cinéma fait subir à ses vedettes et sur la fabrication d’un mythe tel que Monroe. La fabuleuse mise en scène, la direction artistique irréprochable et de la maestria que nous offre Ana de Armas, lui assurant au passage une nomination aux Oscars, ne parviennent pas à sauver un tout manquant cruellement de compassion pour son sujet. Ainsi, Blonde ne s’apparente à rien d’autre qu’un double avertissement pour Hollywood : l’arrêt nécessaire des biopics et documentaires en tous genres sur Marilyn Monroe et, pour l’amour du ciel, arrêtons de laisser des hommes raconter les récits des femmes.

Blonde écrit et réalisé Andrew Dominik, d’après le livre de Joyce Carol Oates. Avec Ana de Armas, Adrien Brody, Bobby Cannavale. 2h47

Sorti le 28 septembre 2022 sur Netflix

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