Véritable forme hybride de cinéma, le long-métrage animé de Dash Shaw intitulé My Entire High School Sinking Into the Sea (2017) est une œuvre inclassable. Transcendant les styles et les genres, ce film d’animation hors-normes doit sa puissance visuelle au passé de son réalisateur. Auteur incontournable de comics, Dash Shaw a souhaité s‘inspirer de son travail effectué sur les bandes dessinées afin de réaliser de l’animation vidéo. Se refusant strictement l’utilisation de l’animation par ordinateur, le réalisateur découvre la création possible de gifs animés à partir d’After Effect. En scannant succinctement 12 de ses dessins, celui-ci parvient à obtenir 1 seconde d’animation. De cette expérimentation naît le désir, tout en continuant d’utiliser la même technique, de réaliser ce long-métrage.
En narrant la simple histoire de Dash Shaw (le réalisateur donne ici son nom au personnage principal du film) et de son meilleur ami, deux lycéens peu populaire, le cinéaste assume immédiatement le fait que la force de son film ne réside pas au sein de son postulat de départ mais dans les situations graphiques qui découleront de sa puissance visuelle. L’événement perturbateur du film, arrivant très rapidement, se révèle être un tremblement de terre faisant couler le lycée, qui s’enfonce inexorablement dans l’océan. Dès les dix premières minutes de ce curieux objet de cinéma, les thèmes forts ainsi que les éléments importants à venir sont laissés au spectateur sous la forme d’indices. Cette première partie donne ainsi le ton général du film et laisse la possibilité d’anticiper les catastrophes que les personnages subiront par la suite.
À travers le déluge coloré que représente My Entire High School Sinking Into the Sea, la volonté de séduction par les images est certaine. Le réalisateur décrit son film comme d’un « dessin animé à animation limitée ». C’est justement dans cette limite donnée à l’animation que le long-métrage trouve sa force majeure. Véritable fanfare de formes et de couleurs, il interroge tout autant le Clip Art que le simple coloriage pour enfant. Le travail par couches de dessins scannés puis transformés en calques donne une profondeur certaine ainsi qu’un nombre accru de détails à l’image. Résultant du même effet que pourrait être celui de l’utilisation d’une caméra multiplane, ce choix d’opter pour le scan d’images lui est cependant moins coûteux et donc plus compréhensible au sein de la production d’un long-métrage animé à petit budget. La combinaison des personnages, d’abord dessinés au crayon puis peaufinés à l’encre, et des décors peints à l’acrylique ou à l’aérographe, permet de créer une grande diversité visuelle. Celle-ci est également complétée par l’utilisation de collages ou de « lumière liquide » (en filmant de petites quantités d’encre versées dans un récipient) afin de souligner l’aspect aquatique de certaines séquences.

Véritable valorisation du geste de création, cette diversité présente dans l’animation permet de créer et de souligner cet univers en perpétuel mouvement. Chaque plan est conçu avec un but esthétique fort, un souhait de transmettre et de faire ressentir des émotions. Car plus qu’à son sujet, c’est véritablement à l’aspect plastique de son film que Dash Shaw donne la priorité.
S’affiche ici également une volonté certaine d’utiliser les personnages comme vecteur d’émotions. Même si semblant parfois délaissés au profit de l’animation, ceux-ci ont tout de même des arguments forts à faire valoir. Ce privilège donné à la forme, plus qu’au fond, permet néanmoins de simplifier la caractérisation des personnages. Les lycéens de ce film sont ainsi les clichés typiques présents dans n’importe quel teen movie. Cependant, le film ne se complaît pas dans une simple énumération de ces clichés tout au long du long-métrage mais les utilises comme une force en n’hésitant pas à en jouer à travers les différentes séquences.
La figure d’adulte, quant à elle, disparaît presque entièrement du film, exception faite de la cuisinière de la cantine, véritable figure de Virgile auprès de ces jeunes lycéens. Elle leur sert ainsi de guide, de boussole. Sans la présence de figures plus âgées, de motifs d’autorités, les personnages, en classe de seconde, entament une quête d’exploration afin de monter jusqu’au toit du lycée. Pour cela, ils doivent monter deux étages, celui des premières et celui des terminales. Il est possible de pointer ici, une nouvelle fois, une simplification des faits. Ce qui est pourtant admirable dans ce choix scénaristique est que le film en devient presque interactif. À l’image d’un jeux vidéo, les étages deviennent des niveaux à passer et les étudiants plus âgés des monstres à éliminer. Un sentiment de progression s’installe jusqu’au dénouement final.
À la fois film d’aventure, film catastrophe et teen movie, le long-métrage de Dash Shaw déborde d’idées. Cependant, malgré ses prises de risques payantes et sa qualité plastique indéniable, il est impossible de savoir à qui s’adresse ce film. Ni pour enfant, ni vraiment pour adulte, il se perd dans un entre-deux sans véritable public visé. My Entire High School Sinking Into the Sea reste cependant une découverte unique et plaisante. À défaut de créer une œuvre populaire, le réalisateur aura ici expérimenté, à travers son propre vécu et son souhait de partage, afin de sortir l’un des films d’animation les plus chamarrés de la décennie.
My Entire High School Sinking Into the Sea de Dash Shaw, avec Maya Rudolph, Lena Dunham, Jason Schwartzman… 1h15
Sorti le 21 juin 2018