Premier long-métrage de la réalisatrice finlandaise Aino Suni, Pulse nous raconte l’histoire d’Elina, rappeuse de 17 ans, obligée de quitter la Finlande afin de suivre sa mère en France. Dans ce pays lui étant inconnu, elle rencontre Sofia, sa nouvelle sœur par alliance, future ballerine de renom. Elina découvre la face cachée de cette sœur quasi parfaite, entre alcool, drogue et sexe.
Ce qui, en surface, pourrait s’apparenter à un teen movie, se révèle être un véritable thriller psychologique sur le passage à l’âge adulte, dans lequel les états mentaux des personnages seraient liés à la perception extérieure des autres. Par ce biais, Pulse questionne en permanence le regard porté. Premièrement celui d’Elina sur sa nouvelle sœur Sofia, interprétée par une impressionnante Carmen Kassovitz ; mais également, et à l’inverse, celui de cette adolescente française sur cette jeune rappeuse finlandaise qui débarque dans son quotidien. Enfin, le film questionne tout autant les regards des spectateurs, sensiblement différents les uns des autres, sur les diverses phases vécues et subies par les deux jeunes femmes. Cette possibilité de la multiplication des regards portés découle de l’absence de jugement de la caméra, et donc de la réalisatrice Aino Suni, sur ce qu’elle filme. Jamais le film ne porte de morale sur les actions des protagonistes, les laissant vivre, intacts, et se contentant d’en suivre la progression, qu’elle soit ou non positive.
Pulse a certes les défauts d’un premier film, mais ceux-ci sont, dans notre esprit, balayés d’une traite tant le long-métrage transpire la générosité et l’envie de bien faire. Les références de la metteuse en scène finlandaise sont audacieuses et tranchent avec le genre cinématographique dans lequel son œuvre s’inscrit. Ainsi, le choix de l’utilisation, de plus en plus rare au cinéma, du zoom, ne peut que nous laisser penser à l’influence du Giallo italien des années 1970 auquel le film semble également emprunter ses couleurs vives et stylisées. Passée la surprise de voir s’appliquer à un film franco-germano-finlandais les codes d’un genre cinématographique italien révolu, nous ne pouvons qu’applaudir la singularité de la démarche et l’efficacité de son résultat. À aucun moment, dans Pulse, un plan n’est esthétisé que par le seul intérêt visuel. Du moindre lampadaire sublimant les contours des personnages, à la lumière naturelle venant frapper dans une surexposition osée les corps mouillés sortant de la piscine, rien, dans Pulse, ne laisse transparaître un quelconque choix de facilité. À l’image des séquences prenant lieu dans la chambre des deux adolescentes, en partie illuminée par le halo du néon d’un flamant rose, l’éclairage vient constamment sublimer la diégèse du film sans jamais en devenir un élément imposant.

Cette chambre, lieu habituel d’intimité, est ici tout autant commune à Elina qu’à Sofia. Elle est la pièce des rapprochements, des détachements, des passages de tristesse ou joie, de l’annonce de bonnes ou de mauvaises nouvelles… C’est aussi dans ce lieu que notre regard sur les protagonistes évolue au gré de leurs prises de décision. Compassion, tendresse, admiration, compréhension, déception, répugnance… Pulse joue avec nous, de la même manière que les personnages jouent les uns avec les autres, et nous laisse, avec sa fin en suspens, dans une autogestion assez déroutante de cet éventail de sentiments.
Regarder Pulse, c’est questionner son propre regard à travers celui imposé par le rôle de spectateur. Ce rôle n’est ici aucunement passif, comme trop de récentes productions cinématographiques le laissent à croire, mais bien actif, le spectateur étant invité à prendre part aux échanges de regards impulsés par le film de Suni. Pulse en déroutera plus d’un, mais devrait, à l’image du Médusa (2022) d’Anita Rocha da Silveira, se créer une très bonne réputation, auprès des cinéphiles français, à mesure de son exploitation en salle.
Pulse écrit et réalisé par Aino Suni
Avec Elsi Sloan, Carmen Kassovitz, Adel Bencherif… 1h43
Sortie le 22 février 2023