Si les drag queens se font de plus en plus entendre sur scène – en témoigne le succès retentissant de l’émission Drag Race France diffusée sur France 2 -, elles se font plus rare au cinéma. Fait encore plus rare, les documentaires à ce sujet trouvent leur chemin vers nos écrans de télévision mais beaucoup moins vers nos salles de cinéma. Espérons que Last Dance ouvrira la voie à d’autres portraits passionnants de drag queens et de drag kings, et à cette occasion, nous avons pu nous entretenir avec sa réalisatrice Coline Abert ainsi que Vinsantos DeFonte alias Lady Vinsantos.
Véritable icône de la scène drag à la Nouvelle Orléans, Lady Vinsantos est fatigué·e. Après 30 ans de carrière, il est temps de tourner la page mais avant ça, iel veut réaliser son ultime rêve : se produire une toute dernière fois à Paris. Coline Abert a embarqué sa caméra pour suivre Vinsantos dans cette toute dernière aventure qui est à son image : haute en couleur. Last Dance réussit à magnifier son personnage à chaque seconde, posant sa caméra au plus près de ses shows, ses transformations et son intimité, notamment avec son mari. Un tournage de trois ans qui aura permis à la réalisatrice et à l’artiste de s’appréhender : “On a accès à des choses auxquelles on n’aurait pas accès si on prenait pas ce temps-là” nous explique Coline, d’autant plus qu’iels avaient tou·tes deux le même objectif : “Nous sommes entré·es dans le projet en voulant tou·tes deux le garder réel et laisser les choses se dérouler naturellement” ajoute Vinsantos.

“Il peut être assez douloureux d’atteindre presque vos objectifs et de vous les faire arracher.”
Vinsantos DeFonte
Les premières minutes nous plongent dans le bain avec une parade des plus folles et excentriques. Des chars défilent, mettant sur un piédestal divers drag queens venues faire le show. La caméra capte alors l’une d’entre iels, il s’agit de Lady Vinsantos en compagnie de certain·es de ses élèves. Une figure imposante et originale qui puise ses inspirations dans le punk et le deathrock. Si iel est connu·e pour son personnage, son école de drag est aussi la plus connue de la région. Chaque promotion compte des dizaines d’élèves venant de tout horizon (géographiquement ou sexuellement parlant) et c’est ce qui nous frappe le plus. Là où les représentations de drag queens – notamment à la télévision – correspondent à un certain type de morphologie et de caractéristiques physiques, l’école de Vinsantos dynamite les codes en accueillant drag kings et drag queens de différentes corpulences, voulant garder leurs poils apparents ou non, etc. “Nous avions des étudiant·es qui voulaient être très traditionnel·les ou plus expérimentaux·ales. Notre objectif était de créer des personnages uniques, originaux et mémorables, totalement libres de toute inhibition.” Cette école et ce qu’elle représente est d’ailleurs le point névralgique du long-métrage avec des élèves extravagant·es comme Fauxnique, Franky Canga, Neon Burgundy ou encore Tarah Cards. Nous suivons l’évolution de chacun·e mais aussi leurs petits tracas et leurs doutes avec derrière elleux la main ferme mais affectueuse de Vinsantos qui souhaite les mener vers le chemin de la (re)découverte de soi. De son côté, le documentaire est une occasion pour la réalisatrice de questionner la notion de féminité : “D’un point de vue féministe, ça m’intéressait de questionner ce qu’on voit à l’écran et sur scène, Qu’est ce que la représentation de la femme et comment on la représente ? Le fait qu’on peut avoir des femmes à barbe ou avec des formes très voluptueuses était quelque chose que je voulais montrer“.
Au cours d’une des sessions de travail, Vinsantos a soulevé un point intéressant, faisant la différence entre le drag dit “commercial” et celui plus underground. Ne lui parlez surtout pas de RuPaul Drag Race (la version originale de Drag Race France) qui, pour luiel est un drag commercial qui a ouvert la voie à une forme d’opportunisme : “Je crois que la commercialisation de drag a conduit beaucoup de gens vers cette forme d’art pour de mauvaises raisons. Il y a tellement de gens qui font du drag juste pour devenir célèbres de nos jours. Cela a empiété sur l’approche activiste et l’esprit punk des racines et des origines du drag que j’aime tant.” Coline souligne de son côté : “Même s’iel dit qu’iel est apolitique et pas militant·e, je pense que c’est assez politique et militant de continuer à défendre une culture queer qui n’est pas devenue mainstream.”
Coline Abert nous offre ainsi une autre vision de cet art jusque là très formaté malgré cette liberté constamment revendiquée en trouvant le moyen de s’adresser également à un public qui ne serait pas familier avec le sujet. La durée relativement courte (1h41) permet malgré tout de couvrir un spectre assez large entre les cours, l’évolution des élèves ainsi que les différentes mises en scène des représentations. L’empathie avec tout ce beau petit monde est immédiate tant il transparaît la sincérité et un amour du spectacle absolu. La réalisatrice a abordé son sujet en ayant très peu de notions de cet art, lui permettant de construire son documentaire en même temps que son cheminement personnel : J’y allais en découvrant au fur et à mesure et en étant ouverte à tout ce que je pouvais découvrir. J’avais vraiment une volonté de faire un portrait d’une scène queer qui s’adressait autant aux gens qui sont déjà queer et qui s’identifient comme ça qu’à un public plus large“. Une démarche qui s’est continuée en dehors du tournage, dans la salle de montage : “Ma monteuse n’était pas du tout fan de drag et c’est un univers qu’elle ne connaissait pas. Notre collaboration a permis de faire évoluer le film dans la salle de montage et son regard plus éloigné de cet art lui a permis de pointer du doigt certaines choses qui paraissaient d’abord évidentes mais qui méritaient effectivement plus d’explications“.

“Je crois que la commercialisation de drag a conduit beaucoup de gens vers cette forme d’art pour de mauvaises raisons.”
Vinsantos DeFonte
L’autre axe majeur de Last Dance, comme son nom l’indique, est la retraite de Vinsantos de la scène drag. Un départ qu’iel n’a fait que tardivement à ses élèves lorsqu’iel leur a annoncé que le show à Paris serait son dernier. Une mélancolie toute particulière traverse alors le documentaire. Nous découvrons à quel point Vinsantos est fatigué de son métier. Iel explique : “C’est au cours du tournage que j’ai commencé à craquer. Diriger une école de dragsters n’est pas une tâche facile. Cela peut sembler “amusant”, mais c’était très éprouvant pour moi, mentalement et émotionnellement. Travailler avec un si grand nombre de personnes marginalisées, c’est comme être thérapeute, et je n’étais pas entièrement équipé·e pour cela“. Pire encore, iel se sent piégé·e alors que la notion même de drag queen est la liberté d’expression : “Je suis un·e artiste de cabaret et un·e musicien·ne avant tout. Ce monde de discothèque n’a toujours été qu’un passe-temps pour moi. Une fois qu’il a envahi ma vie, j’ai commencé à perdre de vue quelles étaient mes véritables passions, […] il est devenu plus clair au fil du temps que j’avais besoin de revenir à mes racines“. Iel prend également du recul sur sa carrière de manière honnête : “En tant qu’artiste affamé·e, vous devez aller là où l’argent vous mène, et l’argent m’emmenait dans des boîtes de nuit merdiques où je devais travailler des heures horribles. J’étais aussi constamment sollicité·e pour organiser des fêtes d’anniversaire, des brunchs, des Bar mitzvah, des fêtes prénatales et d’autres événements de merde qui me donnaient l’impression d’être “sale”“.
Après avoir suivi les semaines de doutes où le mari de Vinsantos est obligé de recadrer les choses pour le/la pousser à avancer, les répétitions de chacun·es jusqu’au show final à Paris sous les rires et applaudissements du public, il est temps de dire au revoir à Lady Vinsantos. Cet adieu ne pouvait évidemment pas se faire de manière traditionnelle, Vinsantos préférant marquer le coup en brûlant toutes les affaires ayant un rapport avec son personnage : perruques, vêtements, chaussures etc. Un geste filmique qui s’éloigne un peu du style documentaire présent jusque là totalement assumé, offrant ainsi un moment mélancolique, un au revoir plein d’espoir alors qu’un autre avenir s’ouvre à l’artiste : “La combustion de mes costumes et de mes perruques était un contrat avec moi-même. C’était un accord que je ne retournerais pas à cette vie. Je voulais sceller l’affaire pour toujours. Bien sûr, c’est une métaphore, mais elle devait aussi être tangible et rituelle“. Finalement, tout a toujours été une histoire de mise en scène que ce soit dans sa vie professionnelle que personnelle. La réalisatrice s’est, de ce fait, emparée d’archives personnelles de Vinsantos pour les intercaler, mettant en exergue son besoin et son envie d’être sur le devant de la scène depuis son plus jeune âge.

Si Vinsantos et ses élèves sont les personnages principaux de ce documentaire haut en couleur, la Nouvelle Orléans en est aussi un. Il s’y dégage une énergie différente que Coline Abert a voulu capturer dès qu’elle est arrivée là-bas : “C’est une cité en ébullition, une ville où on se déguise tout le temps, où il y a toujours de la musique genrée et c’est assez libérateur“. Quelque chose de très vif se dessine dans la manière qu’elle a de filmer ses personnages ainsi que leur environnement et c’est quelque chose qui se ressent même lors du déplacement à Paris. Il est intéressant de voir à quel point la Nouvelle Orléans apporte quelque chose de différent à ses artistes. Après l’ouragan Katrina qui a dévasté une partie de la région, elle a eu du mal à redécoller et c’est grâce à ces artistes considéré·es comme marginaux·ales qu’elle a su se relever et s’offrir une nouvelle identité. De plus, il n’existait pas d’école de drag là-bas, offrant une occasion en or à Vinsantos : “Mon parcours drag était enraciné dans le côté punk et avant-gardiste de drag. Il n’y avait pas vraiment de scène comme celle-là à la Nouvelle-Orléans. J’aspirais toujours à l’énergie de ma vieille famille Drag à la maison. Il y avait quelques ami·es qui ont également exprimé leur intérêt pour le côté plus alternatif de Drag. Le premier “cycle” de l’atelier était simplement une expérience artistique. Huit d’entre nous se sont réunis dans l’espoir de créer un meilleur travail et de réfléchir davantage à notre processus artistique“. Un heureux hasard comme iel aime l’appeler qui lui a permis de créer l’école de drag la plus réputée de la région.
Les novices comme les plus averti·es sur le sujet trouveront leur compte dans Last Dance à travers le portait cabossé mais passionnant d’une drag qui nous fait l’honneur de réaliser son dernier tour de piste devant nos yeux. Le documentaire nous conte avec humour, bienveillance et mélancolie les trois dernières années d’une Lady Vinsantos qui n’a jamais eu froid aux yeux ni la langue dans sa poche et c’est ce qui faisait son charme. Et même si elle manquera très certainement à la scène de la Nouvelle Orléans, tant qu’il y a encore un public pour les soutenir : “Pourquoi ne pas simplement avoir PLUS DE DRAG ?!!!“
Last Dance écrit par Coline Abert et Théo Eliezer. Réalisé par Coline Abert. Avec Vinsantos DeFonte. 1h41
Sortie le 22 février 2023
Merci à Claire Viroulaud pour les interviews.
Vous pouvez retrouver le travail de Vinsantos DeFonte sur son site web http://galerievinsantos.com/ ainsi que sur son Instagram.



