Son rêve c’était de passer d’assistante mise-en-scène à réalisatrice. Cette année c’est chose faite. Jessica Palud nous livre avec Revenir, son premier long-métrage, un film intimiste. Un drame familial sur fond de misère agricole avec en tête d’affiche les talentueux Niels Schneider et Adèle Exarchopoulos. Nous avons rencontré la réalisatrice pour discuter de la genèse du film et du tournage de celui-ci.
Revenir est devenu une adaptation très libre du roman de Serge Joncour L’amour sans le faire car il avait beaucoup de similitudes avec Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Est-ce que ce film a un impact sur vous ? Car en voyant le votre on sent une touche très “Dolan” dans l’ambiance étouffante et cette façon de filmer les corps et les visages.
Effectivement c’est un film que j’ai commencé à écrire il y a cinq ans et à partir du moment où j’ai vu que Xavier Dolan adaptait la pièce de Jean-Luc Lagarce je me suis dit que ce n’était plus possible de faire cette histoire car les deux ont énormément de similarités (un fils mourant qui revient dans sa famille). Et puis au fur et à mesure de mes recherches j’en ai appris énormément concernant la situation du monde agricole à travers les journaux, les articles, les documentaires et j’ai rencontré des agriculteurs pour les interviewer et c’est comme ça que l’agriculture est entré dans mon film alors que ce n’était pas quelque chose qui était dans le livre à la base. Après pour en revenir à Xavier Dolan ce n’est pas une de mes références cinématographiques après c’est vrai qu’il y a des ressemblances c’est un film lumineux avec de la chaleur, on se retrouve avec peu de personnages etc… mais ce n’était pas une référence.
Une mère veuve avec un enfant en bas âge, un frère qui revient après des années d’absence, de la colère, des non-dits… tous ces éléments auraient pu donner un film bruyant et colérique mais il n’en est rien. Vous proposez un récit dans la retenue ponctué par des moments très brefs de colère. Comment est-ce qu’on crée cet équilibre ?
J’ai toujours préféré la pudeur à la colère, au cinéma en tout cas. La colère renfermée est quelque chose qui est beau, qui nous pousse à être au plus près des personnages, presque à l’intérieur d’eux. J’aime aussi prendre un personnage et ne pas savoir grand chose pour pouvoir évoluer au fur et à mesure avec lui et qu’on apprenne à le connaître. Quand on écrit on se met dans la peau du personnage et on écrit l’évolution du texte et il faut des moments – comme la scène dans la boue avec Adèle – qui sont comme une colère, un combat qui se déploie, quelque chose de spontané. C’est vrai que le film s’étale sur quatre jours et demi et j’ai voulu le traiter quasiment en temps réel. J’ai envie de dire que le plus compliqué finalement c’est le casting. Trouver les bons acteurs et trouver quelque chose d’organique chez eux.
Justement en parlant du casting, comment s’est passé le tournage avec eux ? Est-ce que c’était très écrit ou il y avait des moments d’improvisations ?
Le film est quand même très écrit. On retrouve quasiment tous les dialogues du film même ceux de l’enfant qui n’avait pas de texte. Chaque matin je lui expliquais ses scènes et on travaillait les textes au fur et à mesure. Après je laisse toujours une marge. On va faire ce que j’ai prévu mais je dis toujours aux acteurs qu’ils peuvent me proposer quelque chose mais finalement le film ressemble de très près au scénario.
Outre l’aspect familial, Revenir dépeint également une réalité socio-économique qui est celle de la difficulté d’être agriculteur aujourd’hui et c’est quelque chose qu’on retrouve dans de plus en plus de films engagés. C’était important pour vous de vous engager à travers ce film ?
Oui c’est ce qui me plaît le plus au cinéma après c’est vrai que ce sont des recherches que je fais depuis cinq ans et entre temps Petit Paysan et Au nom de la terre sont sortis mais il y a souvent des films avec des thèmes engagés qui sortent à la même période après Revenir est avant tout une histoire de famille, une reconstruction familiale. Le sujet agricole est important c’est le fond du film mais ce n’est pas un dossier qui raconte méthodiquement le monde agricole.
D’ailleurs dans le film vous nous donnez des bribes d’informations sur la situation familiale dans la ferme mais également les voisins…
C’est un retour à la terre, c’est un homme qui est parti et qui revient. C’est une histoire d’amour familial mais c’est vrai que j’avais fait pareil dans mon court-métrage Marlon dans lequel je racontais les 24 heures d’une gamine qui allait voir sa mère en prison. Encore là le monde carcéral était un second sujet, le sujet principal était les liens familiaux. Comment on vit lorsqu’il s’est passé un événement tragique ? C’est le sujet de Revenir. J’aime commencer mes films après les grands drames, j’aurais pu filmer ce qui se passait avant mais je voulais mettre le spectateur à la place de Thomas.
Même si Revenir est votre premier long-métrage, vous avez déjà l’expérience des plateaux avec de grands noms du cinéma, qu’est-ce que vous retenez de toutes ces années ?
J’étais assistante mise-en-scène pendant huit-dix ans, autant sur des films français à petit budget que de grosses productions américaines. Ce sont deux expériences complètement différentes mais c’est vrai que ce qui m’a aidé sur le tournage de Revenir c’est comme le tournage s’est déroulé sur quatre semaines assez intenses, il fallait connaître les lieux, être habitué aux plateaux pour savoir quoi faire à quel moment et être de suite à l’aise. C’est une vraie force quand on a peu de temps de tournage car je savais comment être efficace et comment gérer notre temps. En ce qui concerne la mise-en-scène ça ne m’a pas particulièrement aidé car je pense qu’on apporte de soi dans la mise-en-scène.
Justement quel a été le déclic qui vous a poussé à tourner vos propres films ?
Je veux faire des films depuis toujours. Après c’est vrai que je suis rentrée dans un système où j’étais d’abord stagiaire, seconde assistante puis première assistante et ça marchait bien. Je faisais deux trios longs-métrages par an lors de mes deux dernières années d’assistanat. On est au plus près des films, on est sur un plateau et financièrement je gagnais ma vie. C’est venu petit à petit je refusais un film, puis deux puis trois et on décide un jour d’arrêter pour prendre se mettre à écrire et réaliser. C’est un risque qu’on prend car c’est un métier très aléatoire, je n’avais plus rien derrière si je plantais donc c’était ma plus grosse crainte c’est vrai.
Revenir de Jessica Paul, en salles le 29 février