Lessivé, c’est l’état dans lequel on se trouve une fois le générique de fin apparu. Revenant trois ans après leur très bon et déjà éprouvant Good Time, les frères Safdie sont plus en forme que jamais et ce film, ou bien rouleau compresseur on ne sait plus, qu’est Uncut Gems en est la preuve irréfutable.
Exit Robert Pattinson et sa déambulation nocturne palpitante et onirique, on suit cette fois-ci Adam Sandler, qui malgré son penchant pour les comédies douteuses est toujours capable de choix intéressants dans lesquels il brille, incarnant Howard Ratner, propriétaire d’une bijouterie qui voit sa vie, déjà compliquée par de nombreux problèmes tant financiers que personnels, être grandement bousculée lors qu’une marchandise précieuse, et déterminante dans la résolution des turpitudes, lui est volée.
La tension est un sentiment difficile à créer et surtout maintenir dans le cadre d’un long-métrage. Pourtant, si Joshua et Ben nous avaient déjà montré de quoi ils étaient capables, ils semblent être passés maîtres dans l’art de matraquer les spectateurs. Car on sort groggy de ces deux heures et quart passées à serrer son siège ou se mordre les doigts à cause de la mise en scène nerveuse, la photo crasseuse mais léchée de Darius Khondji, les dialogues se chevauchant, et criés pour la plupart, et la bande son électro renforçant tant l’immersion dans le film que l’oppression subie devant l’écran.
Comme mentionné plus tôt, on est embarqué dans les pérégrinations new-yorkaises d’un Adam Sandler criblé de dettes, aussi détestable qu’attachant. L’écriture de ce personnage est d’ailleurs l’un des points forts du film tant sa candeur et son optimisme nous donnent envie de le voir réussir alors que sa bêtise et son appât pour un gain toujours supérieur à ce qui lui est nécessaire l’entraîne, et de facto nous avec, dans des situations hautement dangereuses et haletantes, nous donnant envie, au même titre que ses créanciers, de lui coller un gnon ou deux pour se détendre.

Il est amusant de noter un mélange d’influences entre le néo-réalisme italien, notamment un de ses jalons principaux à savoir Le voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, dont l’intrigue est fortement identique, et le nouvel hollywood dans sa vision de la « Big Apple » et l’omniprésence de la violence. Ce melting pot culturel, se ressentant nécessairement dans le résultat final, offre presque une œuvre anachronique, coincée entre une New York à l’ambiance très « seventies », période d’enfance des réalisateurs, et une société moderne plus que jamais impitoyable quand il est question d’argent.
C’est là ce qui intéresse le duo de cinéastes. Dépeindre le monde comme un vase clos où seule la monnaie règne. Ce n’est plus un moyen mais bel et bien une fin en soi. Occupant toutes les conversations, pensées et actions, elle nous perd, avec le protagoniste, dans une spirale néfaste et infernale jonchée de billets verts empoisonnés de sorte que l’on se demande si la seule issue garantie sans problèmes n’est pas la plus définitive.
En ayant permis à Sandler d’offrir une excellente performance, on n’oublie pas Julia Fox non plus qui, bien que secondaire, est une petite révélation, les frères Safdie taillent un petit bijou de cinéma à travers le bitume américain. Ils nous rappellent même par le plan final que si la vie d’un homme est fugace, les diamants, eux, d’une certaine manière, sont éternels.
Uncut Gems, de Joshua & Ben Safdie. Avec Adam Sandler, Julia Fox, Kevin Garnett, … 2h15
Sortie le 31 janvier 2020 sur Netflix.