Attention, cet article a été rédigé par deux de nos auteurs. Les crédits sont en fin de texte.
Après un triptyque aussi fourni que le précédent, De Palma est de nouveau très en vue à Hollywood et entend en profiter pour explorer de nouveaux horizons. Le film de science-fiction spatiale étant le grand inconnu de Brian De Palma, le réalisateur s’y attèle avec passion dans le cadre d’une commande qui le déplume quelque peu. Rien de mieux pour se relancer qu’un thriller sulfureux en France, avant de tenter le pastiche des polars noirs des années 50 dans une adaptation complexe du chef d’œuvre de James Ellroy.
Mission To Mars (2000)
Il n’est en effet pas si surprenant que ça de voir Brian De Palma s’attaquer au récit spatial, bien que la mode n’ait pas été pas aussi forte qu’à notre époque, ce qui explique sans doute l’énorme échec financier derrière ce film. Pourtant, à l’instar d’autres auteurs comme plus récemment Christopher Nolan, James Gray, Damien Chazelle ou encore Alfonso Cuarón, De Palma filme dans l’espace un lieu où le vide intersidéral se couple à l’inéluctabilité funeste de chaque destinée humaine. « Dans l’espace, personne ne vous entendra hurler », prétend une tagline devenue célèbre pour un film tout aussi culte. Ici, on ne craint pas les hurlements de peur mais ceux de la perte de l’autre. Chez De Palma, la mort est perpétuellement présente, rien que par la nature de veuf de son héros. Mars étant un rêve partagé avec sa femme, la planète rouge devient un espace de redécouverte de soi et de confrontation face à la mort.
Qu’on ne s’y trompe pas : Mission To Mars est un récit d’aventure spatial qui se veut grand public (malgré quelques instants assez graphiques) avec toute la tension que l’on peut attendre de la part d’un metteur en scène comme De Palma. Mais rien ne peut mettre de côté que le long-métrage est une histoire de renaissance face au deuil où l’espace et Mars deviennent lieux de révélation derrière la fascination. Cela passe d’abord par un travail relationnel entamé dès l’ouverture par le biais d’un de ses traditionnels plans séquences. Le rapport entre les individus rend leur séparation plus forte encore. C’est notamment le cas lors de la mort d’un protagoniste dans un dispositif de mise en scène a priori simple mais pourtant virtuose dans ce qu’il amène d’un point de vue cinématographique et émotionnel.
Le grandiose de la bande originale permet de souligner à nouveau ce rapport entre décors macroscopiques et enjeux microscopiques qui régissent tant de films spatiaux. Pas étonnant que Brian De Palma, cinéaste du tragique, se soit orienté vers Mars et son pouvoir d’attraction. Il parvient même à résumer la puissance de fascination de la planète par une transition des plus magnifiques. Il lui suffit de quelques regards, d’une corde ou d’un terrain de jeu pour que le réalisateur sublime l’Humain et son décor avec une empathie aussi directe que déchirante.

Certes, on peut trouver des points à redire sur le film. On pense notamment à certains effets spéciaux numériques qui ont mal vieilli (bien que, car il semble nécessaire de le rappeler, le film fête ses 20 ans, que le milieu avance en permanence et que certains blockbusters sortent sur les écrans avec des effets non terminés). La dernière partie laisse également une majorité des spectateurs sur le côté, sans compter quelques points narratifs qui risquent de fortement diviser.
Pourtant, il s’avère dommage de voir Mission To Mars traité comme un pestiféré alors qu’il reste dans ses moins bons moments un divertissement des plus recommandables et dans ses meilleurs un drame déchirant où l’espace amplifie le deuil et les questionnements qui en découlent. Il y a de quoi largement réévaluer ce titre au casting aussi impeccable que la mise en scène mais qui a malheureusement connu un sort assez triste au box-office. Mais est-ce que cet échec sera aussi fatal que la femme qui prend la place de la planète rouge dans la filmographie de De Palma ?
Femme fatale (2002)
Dès l’introduction, le réalisateur semble en forme avec une séquence dantesque en plein cœur du Festival de Cannes. Le vol de bijou orchestré, digne d’une scène d’un Mission : Impossible, donne à voir la maestria du cinéaste ainsi que son amour de l’ambition visuelle. Le steady cam est d’une fluidité déconcertante et nous plonge dans un récit qui s’annonce haletant. Pourtant, à la différence de nombre de ses précédents projets, De Palma est ici plus libre, notamment niveau écriture pour laquelle il est seul crédité. Lui qui a souvent eu du mal à rentrer dans le moule hollywoodien peut s’exprimer comme il le souhaite, pour le meilleur comme pour le pire.
Femme fatale s’inscrit totalement dans sa filmographie et est un total objet de fascination. Si l’intrigue peine à tenir par son côté cliché, et une volonté de manipulation du spectateur pouvant s’avérer agaçante, la mise en scène reste toujours la priorité absolue de l’auteur. Il explore ses thèmes habituels : le voyeurisme et l’obsession, à travers Nicolas Bardo (interprété par Antonio Banderas), le double avec Rebecca Romjin jouant Laure et Lily. Surtout, sa candeur ressort avec son twist du « ce n’était qu’un rêve », que l’on sent venir mais qui passe ou casse. Toute l’idée de déjà-vu reprend aussi le cœur de son film Obsession, en offrant une relecture féminine et moderne, moins tenue narrativement mais tout aussi passionnante à décortiquer. Car De Palma, s’il semble arriver à bout de souffle de ses expérimentations ayant revigoré son cinéma des années 90, demeure fidèle à lui-même. Ses split-screens, parfois déroutants, sont percutants et pertinents, traduisant le jeu d’observation de Bardo, la question du point de vue, ainsi que l’idée de fragmentation du temps qui habite le récit. Il s’embarque presque dans un délire lynchien, un an après Mulholland Drive qu’il dit aimer et qu’il voulait avoir comme film cannois pour la scène d’ouverture, sans parfaitement réussir l’illusion mais en rivalisant d’ingéniosité à cette fin.

Le résultat est alors bancal. L’intrigue trop confuse et peu vraisemblable est pour le coup fatal au film qui ne peut décoller de ce fait. D’autre part, il traduit à nouveau sa forme olympique derrière la caméra, son sens du langage cinématographique en s’affranchissant de contraintes aujourd’hui trop présentes comme la présence excessive de dialogues d’exposition, là où lui ne parle que par l’image. Ce récit contemporain ne convainc pas, et confirme un peu plus la difficulté pour De Palma de continuer à exister dans l’industrie, malgré une bonne volonté évidente et des idées à ne plus savoir quoi en faire. La solution semble alors de se plonger dans le passé, en prenant en charge l’adaptation du roman de James Ellroy, Le Dahlia noir.
Le Dahlia Noir (2006)
Rien que la mention de ce roman suffit à attirer l’attention tant le personnage éponyme constitue une figure mythique et funèbre du Hollywood d’antan. Et si James Ellroy a su se réapproprier cette affaire de jeune actrice connaissant la gloire par son mystérieux assassinat, on ne peut qu’imaginer une adaptation réussie de la part d’un Brian De Palma certes en demi-teinte ces dernières années mais dont les sursauts sont toujours aussi vertigineux. Et pourtant, ce n’est que la chute qui provoque le vertige ici, celle d’un potentiel grand film qui ne parvient à exister que par rares moments.
Tout est là pourtant : souffle noir, affaire macabre, récit et personnages se perdant dans leurs illusions nourries par une ambiance mortifère. Cela ne rend l’incompréhension que plus forte : comment peut-on regarder le générique de fin en se demandant à quel point le résultat final est assez oubliable ? Ce n’est pas faute d’essayer : le rapport aux images de la défunte est passionnant, faisant revivre par le biais de vidéos la victime en la ramenant à la vie par la fiction. C’est d’ailleurs lors de certains instants encore plus déchirants que l’on sent les craquelures du masque de l’actrice faire place à la jeune femme qui voulait juste accomplir son rêve.

La structure générale s’avère lourde, d’une pesance qui, bien maîtrisée, n’aurait écrasé que les protagonistes et non le long-métrage en entier. On ne se sent jamais dans un climat de mystère ou d’incertitude mais plutôt dans un labyrinthe auquel on a tant voulu mettre de ramifications qu’on en a oublié la porte de sortie. Et même si l’esthétisme du film parvient à insuffler une certaine ambiance, celle-ci manque de chair, de vivant, d’un cœur qui bat comme ceux des héros DePalmiens, même les plus cyniques.
En ce sens, la confusion de Josh Hartnett dans le rôle principal passe d’une interrogation sur sa place dans un monde ne laissant que peu de place à la croyance des autres à une direction d’acteur mal gérée, figeant le tout dans du plastiquement superbe mais émotionnellement vain. C’est bien simple : le seul personnage qui parvient à vivre réellement n’est que la morte. Le paradoxe s’avère passionnant et aurait pu nourrir pleinement le long-métrage mais c’est comme si, sur cet aspect, De Palma retient ses coups. On sent la place pour des interrogations sur le contexte historique ou la façon dont notre héros essaie de faire « revivre » le Dahlia par une autre, de quoi rappeler certaines de ses grandes œuvres ou même simplement son modèle Hitchcockien (on repense d’ailleurs souvent à son Vertigo lors de certaines scènes). Ici, tout est à la fois simplifié et alourdi, le chat de Schrödinger de l’intrigue maladroite à souhait.

Ce n’est pas faute d’espérer tant, par le biais de certains points mentionnés plus hauts, De Palma parvient à se rappeler à nous, un plan subjectif par-ci, la revisite d’une séquence pour découvrir sa vraie nature par-là. Mais il a beau tout essayer pour faire résonner son style d’antan, profiter de la photographie admirable de Vilmos Zsigmond et essayer le plus possible de jouer la carte de l’intrigue à tiroirs avec certaines de ses thématiques récurrentes, on n’y voit que des soubresauts de grand film derrière les oripeaux constituant le Dahlia Noir. Le résultat s’avère joli mais si désincarné qu’il manque de vie, à la façon d’une Betty Short dont on a oublié l’humanité pour l’asseoir en tant que figure tragique de Los Angeles. La cure de jouvence du film noir n’ayant pas fait effet, il reste alors à Brian De Palma le choix de se renouveler en traitant avec l’actualité du moment, le conflit Irakien… Nous verrons cela dans le prochain article.
Crédits rédaction : Mission To Mars/Le Dahlia Noir : Liam Debruel
Femme Fatale : Élie Bartin
Mission To Mars, avec Gary Sinise, Tim Robbins, Don Cheaddle…1h53
Sorti le 12 mai 2000
Femme Fatale, avec Antonio Banderas, Rebecca Romijn, Peter Coyote…1h55
Sorti le 30 avril 2002
Le Dahlia Noir, avec Hilary Swank, Josh Hartnett, Scarlett Johansson…2h
Sorti le 8 novembre 2006