Une vie cachée (2019) ou l’amour contre la guerre selon Malick
Si Terrence Malick a commencé la décennie passée en nous faisant don de son magni?que Tree of Life, il l’a conclue, en 2019, avec un merveilleux cadeau de Noël. Avec Une vie cachée, il revient à la nature qu’il chérit tant, tout en conservant son style relativement expérimental développé depuis 2011. L’histoire est simple et inspirée de faits réels : on suit la vie de Franz Jägerstätter (August Diehl), fermier chrétien du village de St Radegund en Autriche, qui refuse de prêter allégeance à Hitler et de se battre pour le troisième Reich, ce qui provoque inévitablement son emprisonnement et sa mort. Ce n’est sûrement pas un hasard si Malick a décidé de s’emparer de la vie de cet homme pour l’adapter à l’écran. En effet, on retrouve ici tout ce qui a pu faire sa renommée avec un ?lm éminemment centré sur la Nature, la Terre, ce jardin d’Eden voué à la destruction par l’homme, mais aussi un récit nourri d’importantes ré?exions religieuses avec tout un questionnement sur la relation entre Dieu et sa créature, laquelle est au cœur du récit.
Malgré tout, ce qui intéresse Malick, c’est avant tout l’Amour, l’insouciance, qui se ressent toute la première partie à travers ces sublimes étendues vertes où l’on découvre, émerveillé, la vie de famille de l’objecteur de conscience. La caméra vole, plane autour des hommes, scrute leurs moindres faits et gestes, vient même embrasser la terre dont la culture est ici vécue comme une épiphanie. Son style est infiniment sensoriel, de sorte que l’on semble toucher l’herbe, être caressé par le vent, courir dans les champs ; la musique de Newton Howard fait s’envoler ces instants hors du temps, leur donnant une puissance terrassante, ambiguë : l’innocence teintée d’un tragique inéluctable. Dès lors, Malick prend le parti de l’amour, qui dicte la narration, éclatée entre les flashbacks de la vie d’avant et une récitation en off de lettres échangées entre Franz et sa femme pendant son incarcération. Une manière de raconter le conflit entre l’amour et la guerre sans tomber dans la psychologie mais en explorant uniquement les sentiments d’un homme.

Cet homme, il faut en parler. S’élevant contre multiples entités – régime politique dictatorial, son village gangréné par l’idéologie nazie, la guerre et ce qu’elle représente –, il devient un martyr et c’est là que les ré?exions de Malick ressurgissent. Il choisit de nous montrer une ?gure fortement christique avec cet homme, vecteur d’une idéologie paci?ste, renonçant à la tentation de s’agenouiller devant ce qui est appelé à de nombreuses reprises « l’Antéchrist » pour s’en sortir et qui meurt, seul. Malick confronte Franz à des questionnements similaires à ceux de Jésus, notamment quand celui-ci demande pourquoi il l’abandonne et ne le sauve pas alors que son combat est juste ; l’utilisation du grand angle intensifie cette impression de solitude, d’abandon, tandis que les répétitions enferment dans une boucle d’introspection douloureuse. Cette interrogation mène toute la dernière partie du ?lm et nous détruit sur le plan émotionnel peu à peu puisque, connaissant l’issue fatale, on espère de tout cœur un miracle divin venant sauver la vie de celui qui a osé s’élever contre la barbarie et dont les actes ont une signi?cation aussi importante que son nom a été oublié. Malheureusement, malgré la foi indéfectible, le miracle n’a pas lieu mais le héros s’en va vaillamment, sans aucune peur, porté tant par sa conviction religieuse que l’amour des siens.
Huit ans après nous avoir montré la vie et sa naissance, Malick nous offre une leçon de vie, d’amour et de courage et nous fait nous languir sur son prochain projet, centré sur la vie du Christ lui-même. Il ?nit sa décennie comme il l’a commencée, en nous marquant profondément et ce avec un des tous meilleurs ?lms de sa, déjà très belle, carrière.
Une vie cachée, écrit et réalisé par Terrence Malick. Avec August Diehl, Valeria Pachner, Maria Simon… 2h54
Sorti le 11 décembre 2019