Vient le temps des fêtes de fin d’année. Papa s’apprête à fourrer la dinde, maman badigeonne ses blinis de tarama, tonton allume son Cohiba et se resserre un verre du cubi pour raconter une énième blague raciste et tata entretient une mine déconfite. Vous sentez le bon repas arriver et un moment de délicatesse qui commence à embaumer l’air. Qu’est ce qui pourrait mal se passer ? Ah si, le néné, ce petit fils rouge de gêne, qui s’incruste et sort sa dernière satire anarchisto-ringarde annuelle. Après Don’t Look up en 2021, Glass Onion et son Daniel Craig en short veulent taper sur la vacuité de l’être humain.
Drôle de parcours pour Glass Onion. Après le succès d’A couteaux tirés en 2019 et ses quelques 300 millions au box-office mondial, le studio Lionsgate décide de valider un deuxième projet. Mais entre-temps, Netflix signe un contrat de 469 millions de dollars avec Rian Johnson et devance Amazon et Apple dans les négociations. Adios les salles de cinéma, l’occasion est en or pour le cinéaste américain de se relancer après son échec de The Last Jedi. Glass Onion termine sa course sur Netflix, alors qu’un 3ème volet de la désormais franchise est déjà annoncé.

Que faut-il attendre ou comprendre de la suite d’À couteaux tirés premier du nom ? Oups, pardon pas une suite, mais une nouvelle enquête indépendante. Agatha Christie s’est donc découverte une descendance, qui choisit de faire l’impasse sur une quelconque écriture pour mettre en scène son parterre de stars et de gros casting cabotins. À couteaux tirés n’avait rien de révolutionnaire, mais s’amusait du polar, des codes du whodonit, de la déconstruction de l’énigme policière et d’une famille dysfonctionnelle prête à toutes les crasses. Un effet old-school réjouissant qui réside en partie dans le simple bonheur de retrouver un Don Johnson, une Jamie Lee Curtis ou une Toni Colette au meilleur de leur forme, que dans un semblant d’allégorie politique.
Glass Onion tente lui le coup de génie. Être déjà ringard et lourdingue alors qu’il souhaite parler du monde de demain. Arrivé en 2023, attend-on encore qu’on grossisse les traits de la bourgeoisie pour signifier qu’elle est hors sol, irritante et qu’elle n’est à la recherche que de ses intérêts propres ? Cette fois-ci Benoit Blanc, le célèbre détective franchouillard interprété par l’ex-Mr Bond Daniel Craig n’en a plus rien à faire. Direction des vacances en Grèce, alors qu’il est convié à résoudre une enquête sur l’île d’un riche milliardaire de la technologie entouré de son équipe de bras cassés pour une réunion de jeu de rôle « Murder party ». Cherchons l’enquête, de toute façon le détective le dit lui-même, il n’est pas doué pour ce qui est trop simple. Alors il laisse les autres faire, se pavane en short et en petite chemise en lin, fume son cigare, boit son cocktail… Qui voudrait refuser un all inclusive tous frais payés ? Parce que le scénario n’a ni queue ni tête, cherche une fausse complexité et trouve le principe d’un whodunit inexploité pour remplir 2h20 de commentaires vaseux sur l’époque d’une tristesse infinie qui nous entoure. Twitter, Covid, Twitch, notoriété, wokisme, dégradation de l’art, tout y passe pour que le crâne finisse par complètement lâcher prise devant le spectacle ridicule et le regard appuyé vers un Edward Norton qui scintille d’un panneau « C’est moi Elon Musk, vous avez vu comme c’est osé ? ». Sur-explication des enjeux, sur-explication des conséquences, le spectateur est pris pour un benêt, alors même qu’un flashback et des clins d’œil à foison viennent alourdir un ensemble déjà trop garni. Glass Onion renarde le cynisme Netflix, celui de faire croire qu’on se moque des puissants alors qu’on en est l’incarnation. Celui de faire croire qu’on jette un pavé dans la marre, alors qu’on est un placement de produits et de private jokes ambulant. Celui de faire croire qu’on disserte sur son époque, alors qu’on contribue à l’appauvrissement intellectuel de sa propre clientèle.

Rian Johnson se sent comme un éclaireur, l’envie d’élever les consciences, l’envie de se déguiser en philosophe pour argumenter sur des personnages plus excessifs les uns que les autres. Glass Onion fait partie de cette génération d’œuvres de fictions « anarchistes » mais pleines de talc pour calmer les irritations. Jamais trop trash, jamais trop méchantes. Mais toujours trop molles pour être oubliables aussitôt terminées. Rien ne peut surpasser ce que le monde est en train de vivre. La satire existe tous les jours sur les réseaux sociaux, sur les propos racistes et diffamatoires, sur la bêtise devenue une norme planétaire, sur les frasques de gourous milliardaires. Pourquoi tenter de refaire en moins bien ce qui se joue au quotidien dans nos vies ? Peut-être qu’on se sent porter par un message, une mission de chevalier. Avant de se rendre compte comme le devrait Rian Johnson, qu’un aboiement de Yorkshire ne fera jamais trembler grand monde.
Glass Onion, de Rian Johnson. Avec Daniel Craig, Edward Norton, Dave Bautista, Janelle Monae… 2h19.
Sorti le 23 décembre 2022