Parler de fraîcheur quand il s’agit du nouvel opus d’une saga semble toujours un risque. Comment conserver la sensation du sentiment provoqué par un premier épisode, par une œuvre qui peut la plupart du temps se suffire à elle-même ? Poser cette question, c’est s’interroger comme ces réalisateur·ices- héritier·es qui doivent gérer toute une mythologie ainsi que les attentes de fans qui se montrent ardents face à leur amour fictionnel. Intitulé sobrement, le film pourrait sembler s’éloigner de son inscription dans la saga. La peur de voir la modernité avec laquelle Wes Craven a su gérer une forme d’interrogation sur une fictionnalisation déshumanisante (interrogation partagée récemment par un autre titre attendu de la pop culture) en surfant sur le fil du métatextuel et de l’émotionnel disparaître est au rendez-vous. Heureusement pour nous, le collectif Radio Silence a su s’approprier ces doutes dans une forme de lettre d’amour au slasher et à la déconstruction en général.
Le passage de relais entre ancienne génération traumatisée et nouvelles victimes en devenir s’inscrit dans une forme de narration qui peut ne pas paraître originale. Un personnage exprime ouvertement le statut de Legacyquel du long-métrage, cette transmission de flambeau qui s’illustre par un raccord générationnel qui a su se montrer autant profitable thématiquement qu’économiquement (cf Le Réveil de la Force, SOS Fantômes l’Héritage,…). Les derniers opus d’ Halloween tentent de faire de même en parlant de trauma inscrit dans la communauté et la famille avec plus (l’opus de 2018) ou moins (Halloween Kills) de réussite. En ce sens, on peut se poser la question du traitement de certains personnages secondaires, mettant en exergue ce « défaut » relatif à tous les opus de la licence après la caractérisation impeccable du premier opus.

Pourtant, cette dernière est présente, notamment dans l’écriture de Sam, désignée par la promotion comme la nouvelle Sidney. L’héroïne porte les stigmates familiaux tout en s’inscrivant dans cette thématique proche à Wes Craven du poids des adultes sur une jeunesse en perte de repères (comme dans Les griffes de la nuit ou encore… le premier opus). L’équilibre tonal se maintient surprenamment bien, tout en se liant à nouveau sur cet exercice de balance entre métatextualité assumée et quête d’humanisme par des personnages qui ne veulent pas s’enfermer dans leur écriture de fiction. En ce sens, le scénario de Guy Busick et James Vanderbilt tient clairement la route, notamment dans certains passages qui surprennent par l’amour exprimé envers certain·es protagonistes.
Les deux scénaristes maintiennent ainsi la rancœur de personnages s’exhortant à ne pas répéter les codes mais qui, manipulés par la narration ainsi que le procédé meurtrier instauré (cf la mise en scène théâtrale du deuxième opus) dans cette volonté de s’inscrire dans la fictionnalisation. Il en sort un amusement partagé entre audience et protagonistes tout en ré-amenant la réflexivité du méta, loin du cynisme facile dans le clin d’œil comme instauré depuis plusieurs années par les héritiers de « Scream », à l’opposé des expressions de Wes Craven. La référence à un réalisateur constamment décrié depuis son approche d’une licence connue n’est pas innocente et amène une forme de rappel à l’ordre à des spectateur·ices qui réclament aussi bien de l’attendu que de l’inattendu dans leur rapport à la pop culture.

En ce sens, le film amène les points espérés par tout bon public fan de Scream : un bodycount plutôt solide (surtout au vu de la brutalité graphique de certains instants) ainsi qu’une tournure réfléchie sur elle-même qui n’hésite pas à virer vers une posture qui peut sembler trop maligne pour être honnête. Surtout, ce nouvel épisode perpétue les interrogations de Kevin Williamson et Wes Craven tout en s’inscrivant dans un rapport au cinéma d’horreur des années 2010 et 2020 plutôt pertinent dans son regard. On sent l’affection sincère de l’équipe pour ce qui fait le charme et surtout la réussite éclatante de la saga sur de nombreuses productions du genre.
Que dire sur Scream sans placer le moindre mot impromptu sur un film qui tente de se découvrir le plus lentement possible, notamment par l’agencement de son whodunit ? Si la formule a quelques imperfections (peut-être certaines tournures narratives un poil trop grossières mais qui peuvent s’expliquer par le propos de fond), on ressent facilement l’envie de se porter en héritage des bases de la saga tout en cherchant à recréer ce même équilibre fragile qui fait de l’original un absolu et de la licence entière des opus plutôt solides. L’amusement couplé à des interrogations chargées et surtout bien moins hilares qu’elles n’y paraissent installent ce nouvel opus comme la droite lignée du plaisir cinématographique qui se dessine dans Scream. Si l’on peut s’interroger sur ce qui sera dirigé par la suite, il reste appréciable de voir un slasher aussi généreux créer une telle attente mais surtout accomplir en grande partie ses intentions. Dans une époque marquée par les boomers de service qui aiment à répéter que leur bon vieux temps était meilleur tandis que certains industriels frottent les fandoms dans le sens du poil quitte à offrir des titres oubliés une fois que la bulle Internet passe à autre chose, il y a une satisfaction sincère à découvrir un opus comme ce Scream, fan service sans l’être totalement, méta sans basculer dans le creux et plus qu’appréciable dans ses propositions…
Scream de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett. Écrit par James Vanderbilt et Guy Busick. Avec Neve Campbell, David Arquette, Courtney Cox…2h
Sorti le 12 janvier 2021