Les années 90 et la chute de l’URSS, la démocratisation d’internet, la percée de la techno et du hip-hop, l’industrie du jeu vidéo qui prend une nouvelle tournure, la victoire de la France en Coupe du Monde… Et leur cinéma. Neve Campbell, Denise Richards, Matt Dillon, Kevin Bacon, et même Bill Murray à l’affiche de Sexcrimes… comme une douce odeur du passé, de comédien·ne·s peu à peu disparu·e·s, et de la production qui reflète bien son temps. On devrait dire une période sulfureuse et qui n’a surtout pas froid aux yeux. D’un côté pour de grand·e·s réalisateur.ice.s s’adressant à une niche de cinéphiles exigeant·e·s, qui cherchent un terrain d’expérimentations formelles et de thématiques dans le genre érotique en y créant quelques-unes de leurs plus belles réussites. Avec Paul Verhoeven (Showgirls, Basic Instinct), les Wachowski (Bound), David Cronenberg (Crash), ou encore l’ultime salut de Kubrick (Eyes Wide Shut). Et de l’autre avec l’émergence du teen movie, nombreu·ses·x se sont intéressé·e·s à développer un univers aguicheur pour adolescent·e·s de la génération Y, celleux qui bravent l’interdit pour découvrir des films dont iels n’ont pour beaucoup pas l’âge requis. Parmi eux, Sexcrimes de John McNaughton, fait figure d’œuvre culte qui condense absolument toute la sève des 90’s, jusque dans ses excès.
Blue Bay en Floride, et sa petite communauté baignée dans la chaleur estivale. Sam Lombardo est conseiller pédagogique d’un lycée, et son charme ne laisse pas les étudiantes insensibles. Un jour, il est accusé de viol par une élève. Puis, une seconde apporte également son témoignage et l’accuse à son tour. Mais lors du procès, la situation se retourne, et la manipulation peut alors prendre le pas sur la réalité des choses.

Un titre d’une nullité qui tape-à-l’œil, accompagné de la légende « Meurtres et plus si affinités ». Neve Campbell et Denise Richards, cheveux plaqués en arrière et regard noir de tueuses qui sortent d’une piscine, décidées à faire de l’homme un simple apéritif. Tout parait borderline, avec une limite constante de tomber dans le malaise, à jouer avec la question du viol, du crime sexuel pour en faire un thriller à tiroirs. De nos jours, difficile d’y avoir la même vision qu’en 1998. Pourtant ces femmes sont au sommet de la manipulation, elles tirent les ficelles tout du long de la narration, sont maîtresses de leurs corps, de leurs désirs et des choix qu’elles font. Mais avant tout perçues comme une affiche publicitaire en petite tenue, t-shirt trempé d’un car-wash sexy, à la plastique parfaite, et comme un morceau de viande chargé de rameuter l’œil voyeur qui sommeille en nous. Elles sont aussi aux prises avec des hommes qui souhaitent tirer leur coup, notion qu’elle utilisent pour transformer ces mêmes hommes en larbins. Difficile de voir quelle est la pensée du cinéaste, et cela relève de l’opinion et du ressenti de chacun·e. Fait-il ça pour se moquer d’une époque et en révéler ses aspects ? Ou injecte-t-il un regard libidineux ? Il a fallu du temps pour que Verhoeven soit réhabilité et considéré comme un as de la satire mordante de l’Amérique et ses démons. Il existe bien une extase et l’obsession du public pour les scènes de sexe explicites, les corps mouillés, la sueur torride, l’érotisme qui se dégage du métrage. Le combo parfait de la star de Scream et celle sublimée dans Starship Troopers, entre les mains d’un Matt Dillon qui semble dans une autre dimension lorsqu’il s’agit de déguster du champagne entre deux créatures, tout en révélant une scène clé de l’intrigue.
John McNaughton l’a compris, s’il veut marquer les esprits il faut pousser tous les potards à fond, donner au public ce qu’il veut, jouer sur les stéréotypes en ne rebroussant jamais le chemin. Avoir suffisamment d’humour, d’absurdité et de décalage pour ne jamais sombrer dans le premier degré problématique. Chaque personnage n’est que la caricature de lui-même. Le conseiller pédagogique qui devient un playboy en rut hors du cadre scolaire, le flic qui n’est pas celui qu’on croit, l’avocat simplement intéressé par une mallette et quelques billets, la gothique adepte de la fumette et du spiritueux, et la “bombasse” dont la seule préoccupation est que son imaginaire représente le grand huit du sexe.

Sexcrimes devient une synthèse débilo-rigolote de l’insouciance adolescente, de ses vices, d’une lignée de films et auteur.ice.s qui ont dessiné une jeunesse aussi libre, survoltée, sulfureuse, qu’idiote et artificielle. Elle s’amuse, manipule, devient perverse et ambiguë dans ses choix. Si la mise en scène de Sexcrimes ne provoque rien d’excitant, exaltant, de stylisé ou de novateur, elle reste tout à fait juste, propre et suffisamment maligne pour faire le boulot qu’on lui demande. Divertir sans prétention. Si on reste captivé·e, c’est avant tout pour savoir jusqu’à quel niveau les scénaristes poussent le bouchon dans le n’importe quoi. Amateur·ice·s de twists, la besace est pleine. Comme une Quinte flush, les cartes se posent une à une sur la table pour se conclure en apothéose, avec le générique de fin qui garde la gourmandise. Une fois tissée, la toile d’araignée s’empare du spectateur et le guide sur diverses pistes, en jouant avec son cerveau comme un hochet. Ne cherchez pas la cohérence, il n’y en a pas. L’intérêt est simplement de faire un numéro guignolesque, dans lequel chaque trahison, chaque retournement paraît décisif·ve, jusqu’à l’élément qui vient modifier et réécrire l’histoire. Un exercice pas simple, un brin ridicule, mais relevé avec un certain talent pour que l’édifice bancal ne tombe pas dès la première tentative.
Sexcrimes est toujours vers le trop, comme le pur produit d’une époque qui ne s’interdit presque rien à l’écran. Mais suffisamment jouissif, pour être une synthèse culte de thriller-érotique, un micro-mouvement qui tient ses stars dans l’art de la manipulation, du twist, du kitch sexuel, et d’une génération d’adolescents avec la bave au coin des lèvres.
Sexcrimes de John McNaughton. Avec, Neve Campbell, Denise Richards, Matt Dillon, Kevin Bacon… 1h50.
Sortie le 24 juin 1998. Disponible sur OCS.