Attendu comme le messie par le secteur comme les spectateurs du monde entier, Tenet est enfin dans nos salles obscures. Ce onzième opus de Christopher Nolan, énorme blockbuster d’auteur vendu comme son film le plus ambitieux et revenant à l’utilisation d’un concept fort à l’instar d’Inception n’est pourtant pas le sauveur espéré. Du moins, s’il va sûrement attirer les gens (et tant mieux), il est loin d’être aussi abouti que ce à quoi le cinéaste britannico-américain nous a habitué.
Cette fois-ci, le réalisateur de la trilogie Dark Knight explore les contrées du film d’espionnage. Rapidement, il marche dans les plates-bandes de la franchise 007 en reprenant certains codes agrémentés d’une action qui rappelle celle des Mission : Impossible. Intervient alors l’intrigue, simple comme bonjour, et un concept, lui aussi plutôt simple mais que Nolan comme à sa triste habitude s’amuse à complexifier pour pas grand-chose. Le Protagoniste (John David Washington) est chargé d’empêcher un acte terroriste pouvant sceller le sort de l’humanité, utilisant pour atout une technologie futuriste permettant d’inverser les temporalités des objets et éléments. Démarre un jeu de chat et de la souris dans lequel notre héros, accompagné d’un Robert Pattinson débordant de charisme, poursuit le redoutable Andrei Sator, campé par Kenneth Branagh.
Et là… ça se gâte. Nolan nous a habitué à des films au rythme enlevé, dissimulant les maladresses d’écriture, et divertissants tout en s’étant dernièrement montré capable d’aller vers quelque chose de plus épuré et visuellement impressionnant. Ici, il a le cul entre deux chaises. D’un côté, une volonté d’une action réaliste et spectaculaire à la Dunkirk, de l’autre celle de jouer avec un précepte étrange quoique simple à saisir. Le résultat est bancal. Il se perd comme souvent dans des grands blocs d’exposition inintéressants et volontairement inintelligibles, offrant comme point d’orgue aux discussions des phrases type “N’essayez pas de comprendre. Ressentez.” ou “Vous avez la tête qui bouillonne ?”. Le contraste entre l’envie de ne pas trop en dire et celle de toujours sur-expliquer la moindre chose est étonnant, tandis qu’en filigrane aucun enjeu réel, aucun personnage n’est développé. Elizabeth Debicki aussi impliquée soit-elle n’est qu’une bonne maman faire-valoir aux répliques d’un autre temps, et chaque scène la montrant parler révèle un montage chaotique pour de simples champs contrechamps comme si Nolan n’ a rien à faire de ces passages dans son récit. L’écriture alterne entre le ronflant et l’affligeant. Par moment Tenet devient même “Kenneth”, tant l’acteur prend de la place, alors qu’il semble réincarner le méchant qu’il joue déjà dans son pitoyable Jack Ryan, sans être crédible pour un sou. On a l’impression de voir un thriller raté des années 90, nouveauté pour un cinéaste qui accorde toujours une certaine importance à sa substance, pendant une grosse heure et demie parfois ponctuée de séquences impressionnantes.

Car si on peut jeter la pierre sur Nolan pour une grosse partie de ce nouveau long-métrage, force est de constater que l’ambition est au rendez-vous. Grâce à son concept d’inversion temporelle, il offre à voir des scènes d’action très intéressantes, dans la lignée de Dunkirk, avec un montage moins charcuté qu’à l’accoutumée, bien que parfois illisible, et un sens du spectacle qui frôle le vertigineux. Il dispose d’un budget colossal (plus de 200 millions de dollars) et entend nous régaler avec, ce qu’il fait la plupart du temps, faisant mumuse avec des avions et camions tout en utilisant bien la symétrie inhérente à l’inversion qui crée une imagerie folle. Ces moments de bravoure qui parsèment l’œuvre et lui redonnent de l’intérêt sont tant d’images inédites, faisant miroiter une nouvelle évolution dans la manière de concevoir le cinéma de divertissement. Malheureusement tout ceci ne suffit pas. L’action est réussie dans l’idée mais la musique assourdissante d’un Göransson qui fait du sous-Zimmer atténue tout sentiment véritable de tension et de fascination, autant que son utilisation excessive trahit un certain manque de confiance de Nolan dans sa mise en scène, pourtant en nette progression. De plus, sans “cuter” à mort, Nolan fait s’enchaîner tout ça à une vitesse démesurée, ne laissant pas le temps à nos rétines d’être vraiment en extase.
Tenet est un pétard mouillé, le premier véritable échec de son auteur. Le voir en roue libre de la sorte amène un film pénible, laborieux dans son déroulé les trois quarts du temps, pour un autre très plaisant à voir mais qui n’efface pas les défauts qui l’entourent. Les 2h30 donnent à voir le meilleur actuel du cinéaste avec des plans véritablement inspirés, rappelant que le langage du cinéma se fait essentiellement par la réalisation, mais qui ne sont que trop peu nombreux et pas assez marquants pour masquer le pire de Nolan tant ses défauts sont ici exacerbés et visibles. Une déception, à aller voir ne serait-ce que pour apprécier la dimension visuelle, qui manque pas de conforter le caractère clivant du metteur en scène. Tenet rate le coche, et ne sauve pas le cinéma sur le plan artistique malgré ses quelques magnifiques saillies. Espérons cependant qu’il ramène les spectateurs en salle, pour redonner un peu d’espoir à l’industrie.
Tenet de Christopher Nolan. Avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, … 2h30
Sortie le 26 août 2020.
[…] à Carmel, Californie. Malcolm & Marie, respectivement incarnés par John David Washington (Tenet, BlacKKKlansman) et Zendaya (Euphoria, Spider-Man: Homecoming), entrent déjà dans ce lieu […]