12 ans après son dernier film, Jane Campion marque son grand retour dans les salles obscures avec The Power of the Dog, western américain au casting cinq étoiles. Loin des classiques du genre, le long-métrage se veut plus proche d’un Brokeback Mountain que d’un Sergio Leone et manipule les éléments caractéristiques du western pour déconstruire les rouages de la masculinité toxique, le tout à coup de personnages aussi complexes que fascinants, d’airs de piano entêtants et d’immersion dans l’esprit du wild west américain.
Le film raconte l’histoire dans les années 20 des frères Burbank, Phil (Benedict Cumberbatch) et George (Jesse Plemons), aussi différents que deux humains peuvent l’être. Tous deux sont propriétaires d’un ranch prospère dans le Montana et vivent ensemble jusqu’à ce que George se marie avec Rose Gordon (Kirsten Dunst) et que celle-ci emménage avec son jeune fils Peter. Se sentant trahi par son frère, Phil décide de tout mettre en place pour ruiner la vie de sa nouvelle belle-sœur.
Au-delà de sa fragmentation en différents chapitres, l’œuvre se divise principalement en deux parties majeures. La première permet de mettre en place les éléments importants du récit et de nous présenter les personnages de manière somme toute assez manichéenne en nous montrant leur principaux traits de caractère à travers leurs actions. Ce n’est qu’au moment où Rose emménage dans le ranch que Campion choisit d’explorer plus en profondeur la psychologie de ses personnages en s’attardant d’abord sur Rose. Depuis son arrivée au ranch, cette dernière se montre anxieuse et étonnement étrangère à elle-même. Certes, elle supporte très mal la pression psychologique que Phil exerce sur elle mais plus que cela, elle est totalement seule. Son fils Peter fait ses études en ville, son mari n’est jamais là et, combinés avec l’attitude de Phil à son égard, elle commence à perdre la raison à mesure que les jours passés au ranch défilent, presque comme si le lieu lui-même la vidait de toute vie.

Le personnage le plus intéressant et le plus complexe reste cependant Phil et c’est à travers lui que Campion dépeint tout le propos de son œuvre. Décrit en première partie comme le cliché du cow-boy rustre, cruel et primitif à souhait, il révèle sa vraie nature à mesure que sa relation avec Peter, le fils de Rose, se développe. Sous cette apparence froide se cache un homme totalement vide qui ne s’est jamais vraiment remis de la mort de son mentor. Son frère est tout ce qui lui reste comme attache, c’est pour cela qu’il prend si mal son mariage avec Rose : après tout, n’est-il pas affreux de sentir que l’on ne suffit plus à la personne que l’on aime le plus au monde ?
Chez Campion, la masculinité toxique devient un héritage maudit, passé d’homme brisé à homme, sans qu’aucun n’en soit pleinement satisfait. Phil a sa réputation, il est craint et respecté mais il est également plus seul que l’on ne peut l’être, là où son frère qui lui est diamétralement opposé a trouvé la paix dans son union avec Rose. C’est peut-être là toute la tragédie du personnage : il n’a pas de Rose et Campion sous-entend très clairement que pour lui, il n’y aura jamais de Rose.
Le film possède une photographie très particulière qui accompagne parfaitement son propos. On joue énormément sur la lumière et la perception des matières de manière à rendre chaque environnement et chaque chose présentée à l’écran incroyablement brut·es, et presque palpables. Associé à la bande son envoûtante de Jonny Greenwood (fréquent collaborateur de Paul Thomas Anderson), tout cela crée une ambiance presque irréelle et totalement captivante où il est difficile pour l’audience de détacher son regard de l’écran. Le casting y est pour beaucoup avec en tête Benedict Cumberbatch, absolument fascinant de maîtrise dans le rôle de Phil. L’acteur anglais parvient à totalement s’effacer derrière son personnage et rend le/la spectateur·ice mal à l’aise à chacune de ses apparitions à l’écran tant toute la brutalité contenue se lit dans ses traits. On pense également au jeune Kodi Smit-McPhee qui incarne avec brio Peter et qui ressort comme la révélation du film. Campion fait ici le pari des grands noms mais plus que cela, elle parvient à diriger son casting de manière à ce que tout le caractère d’un personnage se lise sur le visage de l’acteur·ice qui l’incarne.

The Power of the Dog se place d’ores et déjà comme un des meilleurs films de l’année 2021. Moins western que huis-clos psychologique, le métrage propose une plongée dans les racines de la masculinité toxique et montre au/à la spectateur·ice comment ce cycle s’est répété pendant des siècles, d’homme à homme. Jane Campion frappe très fort pour son retour au cinéma et offre ce qui s’apparente déjà à un de ses meilleurs films, alliant parfaitement ambiance et propos de fond. La liste des prétendant·es aux Oscars semble encore s’allonger…
The Power of the Dog de Jane Campion. Avec Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons. 2h07
Sortie le 1 décembre 2021
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