Sorti ce mercredi, Bones and All marque le retour de Luca Guadagnino dans les salles obscures après son incursion à la télévision pour la série We are who we are. Le réalisateur quitte son Italie natale et s’aventure sur les routes de l’Amérique rurale avec l’histoire de Maren et Lee, deux jeunes en quête d’identité. Il serait facile au premier abord de voir Bones and all comme un écart dans la filmographie de son réalisateur, tant la brutalité et la violence de ses visuels contraste les non-dits d’un Call me by your Name, la feinte discrétion d’un Suspiria ou les chassés-croisés sensuels de A bigger splash, et pourtant, le film révèle sûrement le meilleur du cinéma de Luca Guadagnino. Entre corps et horreur, baisers et tendresse, jeunesse et identité, Bones and all surprend, fascine mais surtout émerveille dans son portrait unique de l’humanité.
Il n’est guère étonnant de voir Luca Guadagnino s’attaquer au sujet ô si tabou du cannibalisme. En effet, une des grandes forces de son cinéma a toujours été de filmer les corps avec une virtuosité qui lui est propre et une balance magnifiquement trouvée entre l’animalité du désir et la délicatesse de l’amour. Il y a une notion d’absolu qui dépasse de la caméra dans Bones and All ; les corps ne s’appartiennent plus mais sont possédés par les pulsions et les sentiments les plus primaires. De ce fait, le film questionne sur la nature même des activités de ses personnages et des besoins qui guident leurs besoin d’annihilation de l’autre : serait-ce de l’amour ou de la haine, de la pitié ou de l’amour ? Rien n’est facile et tout est exploré avec une nuance formidable d’une manière presque philosophique mais résolument humaine. Qui sommes-nous lorsque nous ne contrôlons plus nos pulsions si ce n’est des bêtes ? La nature humaine est ici présentée dans toute sa splendeur à travers les diverses rencontres faites par Lee et Maren durant leur road-trip. D’un Michael Stuhlbarg glaçant à un Mark Rylance possédé, Guadagnino renvoie son audience à son désir le plus profond et le plus inhérent à l’humain, celui d’être aimée et comprise.

L’amour et la violence semblent cohabiter à tous les niveaux dans les deux heures de film où Guadagnino déploie des trésors visuels et scénaristiques pour étoffer son histoire. On peut parler de l’enfermement tant figuratif que métaphorique de Lee et Maren avant qu’iels ne se trouvent, ou même des couleurs de leurs vêtements qui contrastent avec la saleté et l’allure sombre des autres “mangeur·ses” Les routes américaines sont ici montrées comme un moyen d’échappatoire et d’errance pour les deux personnages principaux et la recherche d’identité qui les habite sert également à rappeler à l’audience leur jeunesse. Il y a des airs de coming-of-age story chez ces personnages constamment en quête de leurs pièces manquantes, chacun·e façonné.e par leur passé, tourmenté·e par leur présent et cherchant désespérément à se façonner un futur, le tout sublimé par la bande-son de Trent Reznor et Atticus Ross.
Si chaque élément du film trouve sa place dans un tout somptueux, c’est Taylor Russell qui ressort comme principale révélation avec une présence à l’écran aussi magnétique que pleine de grâce, humaine que bestiale. Russell parvient à totalement s’approprier son rôle et prouve sa capacité à transcender l’écran en tant qu’actrice principale, et ce même aux côtés d’autres acteur·ices aussi inspiré·es et inspirant·es qu’elle. Timothée Chalamet n’est pas en reste mais là où ses derniers rôles, notamment dans Dune de Denis Villeneuve, l’affichaient en premier de la classe, il brille ici par sa capacité à se mettre de côté, se réduire pour laisser la place à Russell, avec qui l’alchimie est indéniable. Guadagnino est louable dans son style de réalisation qui, quoique personnel et impactant, laisse toujours la place à ses acteur·ices pour s’exprimer sans jamais voiler leurs performances. De la même manière que dans Call me by your name, le réalisateur possède ce talent et cette patte unique qui lui permettent de retranscrire à merveille ses histoires du livre à l’écran.

Aucune phrase, aussi longue fût-elle, ne saurait tout à fait résumer Bones and All ou ne serait-ce que capter la complexité de son propos. Choisissant comme sujet le cannibalisme, Guadagnino continue son exploration du corps et de l’amour à travers deux personnages en quête d’identité sur les routes de l’Est américain. Le cinéma du réalisateur italien s’étoffe dans ce film qui ne semble pas connaître de double mesure dans son portrait du cannibalisme. Tout est absolu et tout est contenu dans le titre : Bones and All, les os et tout. L’annihilation ultime d’un être à travers un autre.
Bones and All réalisé par Luca Guadagnino. Écrit par David Kajganich, d’après le roman de Camille DeAngelis. Avec Taylor Russell, Timothée Chalamet, Mark Rylance.
Sorti le 23 novembre 2022