Bien représenté en compétition au Festival de Cannes 2021, le cinéma français dispose de propositions singulières en leur genre. France, le dernier film de Bruno Dumont, en fait absolument partie.
L‘incipit de France met de suite dans l’ambiance. La première scène du film consiste en un montage étrange entre des images d’une conférence de presse du président Macron avec celles de France de Meurs (Léa Seydoux), journaliste star d’une grande chaine de télévision d’information et de Lou (Blanche Gardin), son “agente” prompte à quelques obscénités. Malaise et rire, tous deux mêlés, sont déjà au rendez-vous.
Adaptation libre du livre posthume de Charles Péguy, Par ce demi-clair matin, France a l’ambition, comme le dit son synopsis officiel, de dresser d’abord le portrait d’une femme, mais aussi de son pays et du monde des médias. Le film déroule la suite d’événements qui provoquent la chute de cette grande figure de la télévision. Ses postulats et partis-pris ne peuvent en revanche que diviser. Il est toutefois bon de noter que la bande-originale, sublime, est la dernière du chanteur Christophe, décédé peu après la fin de la production du film.

Au départ sorte de comédie décalée aux répliques piquantes et ironiques, le film se mue en (faux) mélodrame bourgeois, où les pleurs de France doivent conduire au pathétique. C’est cette inconstance du ton qui permet au film de déployer son apparat critique acerbe. À travers le personnage de France et son entourage, c’est le “parisianisme” des journalistes, et leur embourgeoisement qui sont dénoncés, comme d’autant plus de raisons de les éloigner des considérations propres à leur métier, celui d’informer tout un chacun et de créer l’opinion. Et tout ceci au profit d’un cynisme à toute épreuve faisant du journalisme télé (est-ce uniquement celui-ci ?) un artefact de la Société du Spectacle.
Panem et circenses ! Du pain et des jeux ! C’est tout ce dont le peuple a besoin, ou plutôt, ce qu’il désire. Et Avec une dose de culte de la personnalité – France de Meurs est bien plus une star de la télé qu’une journaliste, si bien qu’il n’y a pas une scène où elle porte la même tenue, être bien apprêtée quand on est une star étant d’une importance capitale…
Le choix des comédiens témoigne aussi de cette volonté de faire cotoyer le grotesque et le pathos avec une Blanche Gardin outrancière, et un Benjamin Biolay en écrivain, caricature de ses propres rôles. Vient vite aussi le ridicule qui montre l’absurdité du monde que l’on construit autour de vaines fondations individualistes et consuméristes. Le journalisme devient peu à peu un simple bien de consommation sur un marché, celui de l’information.
Une information de mauvaise facture, car tout y est factice. Les débats politiques ou économiques sont des arrangements entre personnes qui se connaissent, les cris de colère sont simplement des manières de faire monter l’audimat ; les reportages à l’étranger aux sujets complexes, les migrants par exemple, sont mis en scène et montés grossièrement, pour susciter l’émotion directe et primitive du spectateur.
Le triple portrait manque certainement de subtilité, de nuances. C’est pourtant tout le pouvoir de la caricature : dénoncer sans tergiversation aucune. France montre à quel point il faut pouvoir se méfier des images dites réelles, réalistes ou autres, car les artifices de création de la fiction ne sont jamais loin : la télé, c’est un peu aussi du cinéma. Et pourtant, tout ceci n’est pas fatal, enfermé et sclérosé, parce que derrière ce système tentaculaire, il y a des êtres humains qui malgré tous leurs défauts inhérents et leurs émotions à géométrie variable peuvent faire preuve, justement, d’humanité.
Au fond dans France, rien de nouveau sous le soleil, mais parfois cela ne fait pas de mal de le rappeler, surtout quand on peut en rire.
France de Bruno Dumont. Avec Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay… 2h14
Sortie le 25 août 2021 en France.
[…] se poursuit dans Ma Loute, jusqu’à tomber dans la satire grotesque avec son dernier film, France. Il va même jusqu’à faire une seconde saison nommée Coincoin et les Z’inhumains, […]