[CRITIQUE] Acide : La guerre des mondes qui fondent

N’allons pas amalgamer tous les Philippot à cause du portrait peu reluisant d’un imbécile climato-sceptique préférant le couscous aux évidences : pour son simple homonyme Just, la conscience que le monde crame se clame. On l’a vu dans La nuée, où même s’il noie sa dystopie fantastique derrière un dilemme social qui l’intéresse bien plus, il parle d’épuisement des ressources, d’alternatives de consommation, conscient de ces rythmes inadaptés tant à nos besoins qu’à ceux de notre terre, qui nous consument. Pour son deuxième long-métrage, Acide, Just Philippot retourne vers ses premiers efforts, reprenant l’un de ses courts pour en faire un récit complet. Pour contexte, il utilise ce qui se perçoit encore comme un épiphénomène, les pluies acides, et les accentue vers la catastrophe directe dirigée vers les pays du vieux continent habitués à faire la sourde oreille tant que cela ne se passe pas chez eux.

Là où La nuée pose son contexte dans l’après, les tentatives de production pour un monde dont on comprend les nouveaux enjeux, Acide nous plonge dans l’émergence de son fléau. Annoncées, les pluies acides ne sont pas redoutées et prennent tout le monde à revers lorsqu’elles surviennent – tout parallèle avec des événements théorisés par le Giec depuis trente ans de rapports alarmants serait purement “fortuit”… Les deux films de Philippot se rejoignent dans leur volonté de ne pas aborder la gestion de ces crises mais de rester à échelle humaine, dans la peau de ces personnes qui, victimes de l’inaction de leurs représentant·es, sont seul·es face à leur survie. C’est ainsi que la première séquence de pluie se déroule sur une route de campagne, lorsque Michel (Guillaume Canet) et Élise (Laetitia Dosch) tentent de retrouver leur fille Selma (Patience Munchenbach), abandonnée au milieu d’un bois par sa classe lors d’une sortie équestre. Le plan sur les chevaux courant pour leur survie le corps recouvert de blessures – nous faisant étrangement penser à l’introduction de Mars attacks – donne un a priori terrifiant sur le sort qui risque d’être celui de la gamine. La force de toute cette séquence, au-delà d’un rythme affolé qui embarque le spectateur, c’est de jouer avec le hors-champ. Puisque nous ne sommes qu’à échelle humaine, nous ne pouvons qu’entrevoir une partie du danger. Une fois la famille réunie, le visage horrifié de Selma allongée à l’arrière d’une camionnette suffit à nous transmettre la terreur.

Partant pourtant d’un postulat impressionnant mais sobre dans son illustration, Just Philippot se laisse aller à une forme de démonstration surabondante qui n’a pas pour but de montrer l’ampleur des ravages des pluies acides mais d’éprouver nos personnages principaux pour renforcer l’empathie. Un procédé qui, poussé à un tel niveau, ne peut que provoquer l’effet contraire. Lorsqu’Élise tombe dans une énorme étendue d’eau corrompue par l’acide – là où l’on voit ailleurs que dilué, ce dernier met quelque temps à agir, pour des règles qui ne sont jamais claires –, c’est le spectacle de son corps en décomposition, en contre-champ du même visage de Selma hurlant à la mort de sa mère. Une réalité affreuse, on le conçoit, mais qui par l’utilisation d’une musique excessive et d’un niveau de détail qui n’avait jusqu’alors pas besoin d’être montré atteint un certain travers. Cette représentation va crescendo, en témoigne une scène où Michel traverse un sol marécageux pour rejoindre sa môme, les jambes recouvertes de brûlures après l’abdication de ses vêtements. Inserts sur les chaussures qui fondent, contre-champ sur le visage de Canet, veines saillantes, qui hurle comme s’il vivait là sa propre Passion. L’interprétation du comédien accentue cet effet d’excès, et nous sort progressivement du film.

Car si l’on peut questionner les différents choix de Michel, égoïstes lorsqu’il décide de tout faire pour rejoindre sa nouvelle compagne (interprétée par Suliane Brahim, héroïne de La nuée) au détriment de sa fille, de vérifier le danger d’une eau potentiellement potable en sacrifiant un chat ou d’abandonner une famille à la mort pour sauver sa peau, ils n’ont malheureusement rien d’illogique. Just Philippot utilise cet état de panique pour dévoiler ce qu’il y a de plus sombre en l’humain·e, sans que nous ne puissions y apposer de jugement. Qui sait comment il·elle réagirait en situation de pareille urgence ? C’est plus dans le portrait brossé du personnage, et une complexité de partition pour Canet, que se trouve la tare qui prend de l’ampleur à mesure que le récit se déploie. Syndicaliste énervé suite à un accident de travail qui coûte la mobilité à celle qu’il tente de rejoindre, Michel n’est décrit que par sa colère qui prend des cibles aléatoires pour exercer son courroux. Dans la description d’un personnage qui blâme la terre entière pour sa condition, Acide ajoute un discours sur la lutte des classes, en opposant le duo père/fille aux personnages rencontrés. Auquel le film ajoute un discours sur les familles recomposées, et la difficulté de trouver sa place pour une jeune fille dont les deux parents se détestent.

Dans ce récit où l’urgence est maîtresse, on ne peut pas parler de tout correctement, et le portrait fin d’un homme écroué par la vie se transforme en caricature grossière. Une simple séquence de violence policière devenue virale permet à peine de recontextualiser les origines sociales du personnage, bien qu’elle pose un constat que nous identifions sans souci. Mais celui qui nous est montré comme une force de la nature dépassé par des dangers plus forts que lui devient un simple geignard, se plaignant que les choses ne se plient pas à sa volonté. Lorsque le frère d’Élise propose de retrouver le trio dans un abri, chose qui n’est pas pour déplaire à Selma, ce n’est pas tant pour les tensions familiales autour de la séparation que Michel refuse l’aide énoncée mais parce qu’il le voit comme un “sale riche” pour qui tout est facile et à qui son ego doit prouver qu’il est lui aussi capable de survie et de protection. Idem lorsque recueilli·es par une famille le temps d’une nuit, Michel fustige leurs richesses, leur refus de partager la nourriture – qui s’explique aussi par le manque de ressources – comme si la lutte devait continuer sur un terrain où il vaut mieux s’unir. Si l’on comprend parfaitement où veut en venir Acide dans l’expression de la facilité des riches à se mettre à l’abri en cas de désastre, et de regarder le monde brûler depuis leur tour d’ivoire, le manque de caractérisation des antagonistes que le personnage se fabule, mais aussi de moments de calme dont il pourrait s’emparer, ne permet pas d’empathie et crée au contraire un sentiment de révulsion envers lui, ses camarades, et les nobles sujets qu’il incarne. Une impression qui semble loin d’être la volonté première, mais qui est renforcée par le jeu faux d’un Guillaume Canet déjà peu crédible en cégétiste, dont les rares dialogues qu’il clame avec vigueur sont ceux qu’il emploie à exiger que tout le monde autour de lui, particulièrement sa gosse, ferme sa gueule. Selma, seul être semblant à peu près réfléchi dans l’histoire, bien qu’elle récupère les gênes paternels à mesure que le danger progresse, est réduite à l’état de silence et sa réflexion sur sa génération qui devra réparer un monde en ruine pèse peu dans un propos bien effacé.

C’est donc dans l’écriture qu’Acide corrompt ses meilleurs instants. Ces derniers, formels, offrent des images cauchemardesques dans leur élan de destruction. Just Philippot sait filmer la catastrophe et surtout le déferlement d’éléments qui nous dépassent quand une simple pluie à l’écran dépasse le gigantisme des monstres imaginaires et nous fait redouter la potentielle averse au sortir de la salle. Une angoisse palpable qui se dissémine quand le film se dégage de sa volonté climatique pour fuir dans un récit familial, ce simili-Guerre des mondes où le père ne cherche qu’à se sauver lui-même, appesanti par le fardeau d’une famille dont il ne veut plus. Surtout, un récit parfaitement compréhensible tant le déchaînement des éléments n’aura de conséquences que pour les êtres peuplant les terres et qu’il est normal d’observer leur sort, mais dont l’écriture vire à l’idiotie. Trop plein de thématiques, trop plein d’enjeux à peine établis, trop plein de Guillaume Canet, qui n’en peut plus de déployer son arc de couineur compulsif après l’avoir déjà apposé sur Astérix. Suivre des caricatures n’est pas un exercice plaisant quand tout le reste a matière à convaincre.

Acide, de Just Philippot. Écrit par Yacine Badday et Just Philippot. Avec Guillaume Canet, Laetitia Dosch, Patience Munchenbach… 1h40
Sorti le 20 septembre 2023

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