Comme on a pu le voir dans son court-métrage Acide, pour Just Philippot, l’horreur est avant tout humaine. Digne héritier d’un David Cronenberg qui serait encore plus porté sur les déboires sociaux de la société humaine moderne, le jeune cinéaste s’intéresse avec La Nuée aux déviances de l’Homme défiant constamment la nature pour son profit. Il s’attelle aussi à faire le portrait de ces métiers de production souvent oubliés et livrés à eux-mêmes.
Exploitante agricole au bord de la faillite, Virginie se lance dans un dernier élan dans l’entomoculture. Cette discipline consistant en un élevage d’insectes – ici des sauterelles comestibles – la met dans l’embarras face à l’incompréhension et aux jugements des locaux·cales, mais aussi dans une posture malhabile à mesure qu’elle tente de développer son exploitation à moindre coût. Voyant le rapport de l’insecte au sang, denrée dont les sauterelles peuvent se nourrir sans que Virginie ne soit contrainte d’acheter des compléments alimentaires, cette dernière se lance dans une quête macabre, tombant peu à peu dans la névrose.

On l’aura bien compris, l’horreur ici est humaine. Cette nuée de sauterelles pourtant montrée régulièrement de manière graphique et dont le dérèglement hormonal suite à la consommation sanguine peut altérer les possibilités agressives, n’est pas le danger mais représente une volonté de liberté, une nature qui augmente ses capacités pour pouvoir reprendre ses droits et fuir le joug de l’exploitation humaine. L’horreur est celle de cette femme complètement dépassée, tant par ses ambitions que par les responsabilités qui la submergent. La noblesse de ses intentions premières, de se relever et d’apporter la subvention à sa famille, se perd tandis qu’elle ne retrouve plus le sens des réalités, mettant en danger ses proches. On y voit surtout, autant implicitement dans les réactions de Virginie qu’explicitement dans les discours des gens qui l’entourent, la pression sociale qui étouffe l’exploitant·e qui à défaut de s’en sortir correctement lutte pour acheminer de petits morceaux de survie.
Le film prend une tournure étrange. Sans abandonner complètement son prisme horrifique par cette nuée toujours présente donnant lieu à des moments où le cadre joue de ses effets ou par les passages plus violents donnant lieu à une Virginie hors de contrôle, il le laisse de côté pour mettre au centre son récit social. Un réel portrait de l’agriculture française qui se meurt, pour des travailleur·ses écartelé·es par les normes et la valeur de l’argent dont iels ne voient jamais la couleur, elleux qui vivent de leur labeur. Illustration parfaite avec cet ami viticulteur décrivant son vin comme son propre sang, ses vignes comme ses enfants à qui il donne vie chaque année, mettant tout de lui-même, lui qui est probablement le seul à réaliser l’ampleur du travail que cela représente. Virginie s’accroche à sa nuée comme dernier recours, son seul salut malgré la conscience que tout est déjà perdu. On y voit un désespoir faisant écho à de nombreux films qui récemment parlaient de la situation de plus en plus précaire de ce cœur de l’agriculture – Au Nom De La Terre en tête -, sans opter pour un misérabilisme pesant. Une nuance qui parvient à trouver sa crédibilité par son casting, Suliane Brahim en tête, qui tient le métrage sur ses épaules et ne le laisse jamais retomber.
C’est peut-être là que l’on trouve une certaine limite à La Nuée. Le film ayant été avant tout vendu comme correspondant à une étiquette horreur, il ne sera pas étonnant de voir beaucoup d’aficionados du genres circonspect·es lorsque la dose de sensations fortes et graphiques – surtout quand le peu d’apparitions de ces dernières est réussi grâce à une photographie et des effets exemplaires – devient totalement secondaire. Un choix audacieux et étrange qui ne manque pourtant pas d’interpeller et ramène à des questionnements essentiels et des réflexions sur notre société, chose qui au final a souvent été le créneau du cinéma d’horreur. La Nuée est en conséquence un film hybride qui puise sa source et son imagerie dans le genre pour s’ancrer dans une réalité bien plus morbide que tout ce que l’imagination horrifique pourrait proposer.
La Nuée, de Just Philippot. Avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne… 1h41
Sorti le 16 juillet 2021
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