Cinquante ans après son coup d’état meurtrier au Chili, le général Pinochet revient au devant de la scène dans Le comte, nouveau film de Pablo Larraín. Le réalisateur argentin, habitué à traiter des fantômes et du poids du passé dans son cinéma choisit ici des thèmes plus politiques, en plus de son approche plus humaine que l’on a connu dans son Jackie avec Natalie Portman. Il est difficile de parler d’un homme tel que Pinochet en ignorant son influence toujours présente dans la vie politique et sociale du Chili. Dans El conde, Larraín se laisse aller au réalisme magique et fait de Pinochet un vampire immortel aux faux airs de Bela Lugosi traversant les époques pour un résultat difficilement à la hauteur des ambitions.
Il y a presque des airs de Spencer dans l’ambiance mise en place par Larraín. Si l’on s’éloigne ici des châteaux et autres jardins anglais embrumés, c’est bien le gothique qui règne en maître sur l’œuvre. Le réalisateur utilise son noir et blanc magnifique pour créer une atmosphère lugubre et désolée à la frontière entre un Nosferatu et les jeux d’ombres du Dracula de Coppola. La métaphore du vampire, bien que très littérale dans ce cas-ci, est dispersée à bon escient, notamment dans une scène d’ouverture grandiose qui expose toute la maîtrise technique de Larrain. Il paraît presque ironique de faire d’un dictateur ayant économiquement et socialement vidé le Chili un vampire assoiffé de sang. Il est encore plus intéressant de voir Larraín faire le parallèle entre cette soif mystique et la soif d’argent des enfants de Pinochet quant à son héritage. L’allégorique confronte la réalité et c’est au cœur de cette opposition que le réalisateur distille les fragments du terrible cycle de la politique de Pinochet, touchant encore aujourd’hui le Chili de plein fouet.
Malgré ces points positifs, il paraît surréaliste de voir Larraín prendre le parti de la comédie noire pour présenter un personnage tel que Pinochet. Certes, les scènes avec ses enfants sont assez efficaces et confèrent au tout des airs de Succession victorien. Mais l’humour entache profondément le propos avec un trop grand décalage entre le visuel gothique et délabré et le comique qui très souvent retombe à plat. Larraín semble se perdre dans son propre script, enchaînant les scènes creuses et les retournements de situation rocambolesques qui peinent à servir son film. Certaines scènes frisent le mauvais goût et il est difficile de comprendre pourquoi le réalisateur fait le choix de prendre Pinochet et non un dictateur fictif pour illustrer son propos. Les thèmes ne sont pas spécifiques au général Pinochet mais s’adressent plutôt aux dictatures en général et à l’héritage de tels régimes dans nos sociétés modernes. En faisant le choix du contre-biopic, Larraín veut rendre le mal Pinochet plus humain mais n’assume pas le poids réel de son personnage principal, trop lourd à porter pour un film déjà gangréné par son propre script.
Il est difficile d’imaginer Larraín à la tête d’un tel projet, lui dont la plus grande force est justement d’instiller ses thématiques tout en gardant un certain respect neutre vis-à-vis de ses personnages historiques. Sans même parler de son traitement de Pinochet, le film est fortement handicapé par un script au rythme douteux ayant du mal à rassembler le réalisme avec la magie. Avec une approche comique qui retombe souvent à plat, Larraín se débrouille mieux en dépolitisant les figures qu’il dépeint, chose irrévocablement impossible à faire avec quelqu’un comme Pinochet. Sans être franchement mauvais, El conde nous fait attendre le prochain projet du réalisateur sur Maria Callas avec Angelina Jolie avec plus d’impatience, tant le portrait de figures moins politisées semble convenir à sa vision historico-humaniste.
El conde de Pablo Larraín. Écrit par Guillermo Calderón et Pablo Larraín. Avec Jaime Vadell, Gloria Münchmeyer, Alfredo Castro… 1h50
Sorti le 15 septembre 2023 sur Netflix