Mean Creek

[CRITIQUE] Mean Creek : Humain à l’eau

L’année où, de manière incompréhensible, le Festival du Cinéma Américain de Deauville oubliait de récompenser l’Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry, se cachait dans la sélection officielle un film qui sans faire de vague aurait tout autant mérité d’être récompensé. Après avoir été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes et sélectionné au Festival du film de Sundance, Mean Creek, tout comme Gondry, est reparti bredouille des côtes normandes. Si depuis, le statut culte du film avec Jim Carrey et Kate Winslet n’est plus à définir, Mean Creek a eu du mal à trouver son public. Pourtant, dire que la force majeure de Mean Creek réside en la manière dont le film parvient à donner un tout autre visage aux coming of age movies serait un euphémisme tant il a bien plus à offrir que cela. 

En choisissant comme axe d’entrée le harcèlement scolaire, Mean Creek accepte que ce ne sera pas son originalité qui constitue son point fort mais tout ce qu’il parvient à faire ressentir au spectateur. La trame narrative réside dans les échanges qu’a Sam (Rory Culkin) avec deux autres protagonistes : son harceleur George et son grand frère Rocky. Les deux frangins mettent au point un plan pour se venger de George : convier l’harceleur à une balade en bateau pour l’isoler. Le générique d’introduction de Mean Creek ne se trompe d’ailleurs aucunement. Les noms des acteurs apparaissant sous l’eau verdâtre d’un ruisseau ou d’une rivière laissent deviner le plan élaboré par les deux frères : le but est bel et bien de faire tomber George à l’eau et de le laisser se débrouiller pour rentrer par ses propres moyens.  

En mettant en scène ce groupe d’adolescents dont la variété des âges souligne l’évolution possible des personnalités, le cinéaste Jacob Aaron Estes prend le temps de définir le caractère de chaque protagoniste. Par un rythme lent, mais aucunement désagréable, il prend le temps d’installer un climat propice pour que le spectateur fasse la rencontre des jeunes qu’il accompagnera pendant l’heure et demie de film. De plus, l’intrigue faisant se retrouver des groupes hétérogènes sur un même bateau, ce temps pris par le cinéaste sert également au besoin qu’ont les protagonistes de faire connaissance les uns avec les autres. Le rythme est parfaitement géré par le cinéaste. Par l’économie de musique et une caméra portée embrassant les mouvements de l’eau, il installe un climat calme de balade fluviale qui nous ferait presque oublier les raisons qui y ont mené les protagonistes. Une partie l’oublie également, volontairement, en trouvant en la personne de George un jeune garçon mal dans sa peau et ne cherchant rien de plus que le contact humain. La méthode n’est pas toujours la bonne mais Sam comprend la situation de son camarade de classe et demande à son frère l’annulation du plan. 

C’est dans son dernier tiers que le film joue sa carte de l’émotion et, par les différents sentiments qui animent les personnages entre haine, remords et rancœur, touche le plus le spectateur. Convoquant ici ses modèles, sortes de freaks des coming of age movies tels que Boys Don’t Cry (1999) ou Bully (2001), Mean Creek adoucit ses sources d’inspirations afin de rester dans une certaine continuité et logique de rythme par rapport au reste du long-métrage. Il serait ainsi réducteur de qualifier Mean Creek de « Larry Clark soft ». Par cette atténuation des extrêmes visibles chez Clark, le cinéaste parvient à livrer un film aux thématiques dures, ancrées dans un certain poids émotionnel mais accessible à un plus grand nombre que le cinéma de son compatriote. 

Des trois festivals cités en introduction de ce texte, le seul dont est reparti vainqueur Mean Creek est le festival de Sundance où il y remporte l’Humanitas Prize. Récompensant une œuvre explorant le sens et les nuances de la condition humaine, il était impossible pour le long-métrage de Jacob Aaron Estes de passer à côté de ce prix. Toujours capable d’avoir, dans notre actualité et les conditions scolaires, l’impact qu’il a souhaité avoir à l’époque, il serait peut-être bon, bientôt vingt ans après sa sortie, de réhabiliter Mean Creek.

Mean Creek, écrit et réalisé par Jacob Aaron Estes. Avec Rory Culkin, Carly Schroeder, Ryan Kelley…1h30
Sortie le 29 septembre 2004

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