[CRITIQUE] État limite : Humains en péril

Nicolas Peduzzi est un cinéaste qu’on suit depuis un moment. S’il avait posé ses valises aux États-Unis pour Southern Belle (portrait d’une fille de milliardaire à la vie plus trépidante que l’intégrale de Dallas) et Ghost Song (portrait nébuleux d’une poignée de marginalisé·es à l’approche d’une tornade), le réalisateur revient en France pour un documentaire qui s’attaque à l’hôpital public.

Jamal Abdel Kader est le seul psychiatre de l’hôpital Beaujon dont le service peut accueillir jusqu’à 400 personnes. Une lourde responsabilité pour cet homme qui a décidé de dédier sa vie à ces patient·es fragiles et nécessitant une oreille attentive. Sauf que l’hôpital public va mal.

La plongée est rude, violente et ne prévient pas. La caméra, à l’épaule, suit un aide-soignant de si près qu’on aperçoit seulement le bouton marche/arrêt tatoué dans sa nuque. La musique est assourdissante, épuisante avec l’impression qu’elle dure une éternité alors que ça ne fait que quelques minutes. Le réalisateur impose une sorte de distorsion de la réalité où tout est accéléré, tout est amplifié. Nous ne sommes pas si loin de la vérité. Les urgences sont débordées, les lits toujours occupés et le personnel ne sait plus où donner de la tête. Les informations communiquent mal, voire pas du tout si bien qu’il faut rappeler à l’ordre. C’est à ce moment que débarque Jamal : une silhouette élongée mais le dos déjà courbé par la charge physique et mentale de ce métier. Les cas se suivent mais ne se ressemblent jamais. Certains sont mêmes surprenants. L’humain est complexe et c’est cette complexité que le réalisateur arrive à saisir avec beaucoup de pudeur. Cette question est d’ailleurs rapidement abordée lors des différentes consultations du médecin. Une préservation de l’intime en dépit de situations parfois très graves (on suit pendant une partie du documentaire une jeune fille accro aux opiacés qui s’est jetée d’un pont avant de se faire percuter par un train, lui faisant perdre ses deux jambes et son avant-bras gauche). Nicolas Peduzzi sait filmer à bonne distance pour capturer chaque instant, permettre aux patient·es de se sentir en sécurité et à Jamal d’exercer son métier sereinement.

© GOGOGO FILMS

Si Jamal aime sa profession et ses patient·es, qui trouvent en lui le réconfort escompté, le documentaire vient nous rappeler à quel point tout ceci tient sur un équilibre fragile, à cause d’une institution qui a déshumanisé ce travail, imposant des cadences de plus en plus intenables et quantifiant un travail qui s’effectue d’habitude sur la durée. Jamal se pose des questions et remet un cause son métier avec un constat terrible : l’hôpital n’en a que faire s’il meurt tout comme ses patient·es car tout est devenu une question d’argent. Jamal est épuisé, ses collègues également mais comment tenir ?

La réponse se trouve certainement entre les quatre murs de cet hôpital, à travers les regards et les sourires des patient·es. Celleux qui s’accrochent, qui veulent s’en sortir après des années de souffrance, qui trouvent enfin une oreille attentive auprès de gens qui ne jugent jamais, qui trouvent un soutien. La réponse se trouve parmi les humains. Comme dans son précédent documentaire, le réalisateur trouve la vie à travers ces personnes marginalisées qui ne demandent qu’à vivre. Si l’hôpital, Jamal et ses patient·es atteignent un état limite (voire critique), Nicolas Peduzzi trouve une lueur d’espoir dans ce qu’il y a de bon et de pur chez les hommes.

État limite écrit et réalisé par Nicolas Peduzzi. 1h42
Sortie le 1er mai 2024

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