[CRITIQUE] – Kiss Kiss Bang Bang : Le dernier pulp

Au début des années 2000, Shane Black fait partie de cette catégorie d’artisans dont la notoriété est inversement proportionnelle à celle de son travail. Il faut être clair, si L’Arme Fatale, Le dernier samaritain et Au revoir à jamais sont aujourd’hui des classiques dans le genre du buddy movie d’action, le véritable artisan derrière leur réussite n’est pas leurs réalisateurs respectifs (Richard Donner, Tony Scott et Renny Harlin) mais bel et bien leur seul et unique scénariste. Un auteur dont le style est immédiatement reconnaissable par ses tropes (tous ses scénarios se déroulent à la période de Noël), ses références au roman pulp, et son amour pour les véritables anti-héros même lorsqu’ils ne sont pas la norme (à l’ère des héros indestructibles Schwarzenegger et Stallone, L’Arme Fatale montre son héros Martin Riggs à deux doigts de se mettre une balle dans la tête au bout de 20 minutes).

Son passage à la réalisation en 2004 avec Kiss Kiss Bang Bang apparaît comme une renaissance après une décennie en dépression consécutive à l’échec d’Au revoir à jamais, un moyen de renouer avec le cinéma qu’il chérit (plutôt L’Inspecteur Harry et Les trois jours du Condor que l’action pétaradante des années 80), et surtout l’occasion de garder le contrôle sur son travail sans l’interférence de réalisateurs (Richard Donner élargit l’aspect comédie et restreint la noirceur de son script de L’Arme Fatale) ou même du studio qui lui impose de réécrire le troisième acte du Dernier Samaritain, ainsi que la fin de Au revoir à jamais. Kiss Kiss Bang Bang est un pur travail de Shane Black dans son écriture en même temps qu’elle révèle un réalisateur qui parvient encore à faire vivre un genre tombé en désuétude depuis longtemps.

Harry Lockart (Robert Downey Jr.) est un voleur maladroit, incapable de cambrioler un magasin de jouets de quartier. Alors qu’il fuit la police après cette piètre tentative, il se retrouve au milieu d’une audition pour un film. Contre toute attente, il obtient le rôle principal du film et déménage à Los Angeles. Sur place, il rencontre Harmony (Michelle Monaghan), amie d’enfance et aspirante comédienne dont il était secrètement amoureux, et doit suivre des cours de détective pour préparer son rôle avec le privé Perry Van Shrike, dit « Gay Perry » (Val Kilmer). Lors d’une surveillance de nuit, le duo se retrouve témoin d’une scène de meurtre qui les entraîne dans un complot plus vaste encore.

Un pitch qui annonce la volonté de Shane Black de revenir au film noir hérité des romans pulp, genre phare de l’âge d’or hollywoodien progressivement oublié à partir des années 80. On retrouve ainsi dans Kiss Kiss Bang Bang toutes les figures du genre (le détective privé, l’histoire jonchée de cadavres, les multiples retournements de l’intrigue, ou le grand antagoniste qui tire les ficelles dans l’ombre) dans un film qui se veut à la fois un hommage aux écrits d’Ed MacBain ou Raymond Chandler, mais aussi au genre cinématographique, citant par exemple Chinatown ou Le point de non-retour. Le tout en détournant le genre via des touches comiques tout au long du récit, ce que la scène pré-générique absolument hilarante démontre en même temps qu’elle présente les deux personnages principaux.

Kiss Kiss Bang Bang est en effet un véritable hommage au film noir, à la fois retour aux sources tout en détournant l’ensemble des codes du genre. La voix off de Robert Downey Jr. (procédé qu’il n’utilise que dans le début d’Au revoir à jamais pour présenter le personnage de Samantha Caine) donne pour la première fois de la carrière de Shane Black un aspect méta à son film lorsque l’acteur interpelle directement le spectateur. Mais surtout, l’ensemble des codes et situations typiques du genre sont ici déviées par un élément imprévu. Une filature est arrêtée en cours parce qu’un personnage déclenche accidentellement un coup de feu en glissant. Une fusillade est stoppée nette par un commerçant qui abat l’un des personnages dans le dos, fâché que ce dernier ait démoli sa terrasse. Un homme de main accentue la torture suite à des provocations sur sa sexualité. Une manière de surprendre le spectateur sans jamais renier son attachement au genre, Shane Black revenant ici à ce qui en fait l’essence, lui qui dût au cours de sa carrière de scénariste le travestir pour correspondre aux canons des productions Joël Silver. À titre d’exemple, la séquence finale est directement inspirée de l’Inspecteur Harry, ce que voulait déjà faire le réalisateur lorsqu’il écrit le scénario du Dernier Samaritain pour être finalement contraint de réécrire le dernier acte du film à coups d’explosions et autres poursuites en voiture.

L’amour pour le genre transpire dans chaque plan, à travers chaque réplique, y compris lorsque le réalisateur se moque d’un système hollywoodien incapable de tuer ses personnages (rappelons que Shane Black tuait Martin Riggs à la fin de son scénario de L’Arme Fatale 2). Ce dernier démontre qu’il n’a pas perdu son sens de la punchline, ainsi que sa capacité à créer des situations sur des pay off comme lorsqu’un doigt coupé par accident provoque de multiples péripéties. Le film est surtout une pure œuvre de Shane Black par des personnages totalement incrustés à son univers cinématographique. Sa carrière de scénariste est en effet parsemée d’anti-héros, véritables loosers malmenés par la vie mais fondamentalement touchants, de Martin Riggs le flic suicidaire à Joe Hallenback, le privé cocufié mais éperdument amoureux de son épouse, jusqu’à l’ancienne tueuse d’élite Charlie Baltimore qui refuse son nouveau statut de mère. Harry Lockhart et Harmony rentrent parfaitement dans ce cadre, à la différence qu’ils ne sont pas d’anciennes gloires déchues, mais bien des figures n’ayant jamais pu atteindre leurs rêves. La maladresse maladive d’Harry et le besoin viscéral d’évasion d’Harmony finissent d’en faire des personnages attachants, véritables moteurs émotionnels du récit, d’autant qu’ils sont incarnés par deux comédiens remarquables. Michelle Monaghan est une révélation pendant que l’on redécouvre que Robert Downey Jr. est un acteur de qualité. Le film est d’ailleurs celui de sa renaissance qui le conduit vers le rôle de Tony Stark. Au milieu, Val Kilmer campe un savoureux Gay Perry, archétype du détective privé dont l’homosexualité sert à la fois de caractérisation du personnage et de moteur du récit lorsqu’elle permet aux protagonistes de se sortir de situations dangereuses. Seul personnage encré dans le genre, il permet à Shane Black de créer un tandem qui fonctionne parfaitement et provoque souvent le rire devant les répliques cinglantes que balance Perry à Harry.

Finalement, Kiss Kiss Bang Bang, c’est à la fois un vrai film noir, une vraie comédie, une histoire d’amour, un hommage au roman pulp et au film noir de la grande époque par un cinéaste amoureux du genre et qui ne renie jamais celui dans lequel il a œuvré et pour lequel il fut méprisé pendant longtemps. Passé derrière la caméra, Shane Black se révèle comme un metteur en scène élégant, dont le découpage est aussi dynamique que les répliques, et dont la lumière de Michael Barrett (chef opérateur de Ted) évoque Le Dernier Samaritain, le grand hommage au roman noir comme scénariste de Shane Black. Un grand petit film où le réalisateur revisite tout un genre, avant de détourner sa propre filmographie quelques années plus tard dans The Nice Guys.

Kiss Kiss Bang Bang, écrit et réalisé par Shane Black. Avec Robert Downey Jr., Val Kilmer, Michelle Monaghan…1h43.
Sorti le 14 Septembre 2005.

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