[CRITIQUE] Perfect Days : Travailleur de l’ombre

Et si, avec Perfect Days, son second film de l’année après Anselm (Le Bruit du Temps), Wim Wenders réalisait son film le plus rock ? Il y a certes la Palme d’or Paris, texas (1984) hantée par la bande originale de Ry Cooder, Buena Vista Social Club (1999) le documentaire justement consacré au disque éponyme que Cooder a enregistré à Cuba, ou 3 amerikanische LP’s (1969), un court-métrage du cinéaste allemand portant sur trois pochettes de disques rock. Mais ce long-métrage japonais consacré à un agent d’entretien de toilettes publiques pourrait bien aller plus loin que ces constats déjà éloquents. 

La principale raison réside, il est vrai, dans les musiques utilisées par le cinéaste au sein de son film. D’Otis Redding à Lou Reed en passant par Nina Simone, The Kinks, The Rolling Stones, The Velvet Underground… il faut remonter quelques années dans le temps avant de trouver un autre film (hors films musicaux) capable d’aligner en 2h autant de classiques dignes du Rock’n’Roll Hall of Fame. Ces nombreuses musiques sont celles qui rythment le quotidien de Hirayama, agent d’entretien des toilettes publiques de Tokyo. En dépit des regards extérieurs, et notamment celui de sa sœur, cet homme célibataire prend du plaisir à exercer son travail au quotidien. Un café pris au distributeur, une cassette audio introduite dans le lecteur de la voiture et, sur des airs de rock, la journée de Hirayama est lancée. 

Le travail de Hirayama est une activité invisible. Personne ne la voit, ou plutôt ne veut la voir. Les toilettes sont détériorés à la minute où il les quitte et de nombreuses personnes demandent à pouvoir y accéder alors même qu’il les nettoie. D’aucuns ne semblent réellement le considérer lui, ou son activité professionnelle à laquelle il accorde pourtant beaucoup d’amour. Hirayama se plonge dans d’autres passions qui, même si discret et peu bavard de nature, lui permettent de partager quelques mots avec des rencontres fortuites. Il lit, photographie, aime la nature et, bien sûr, la musique. 

Par ailleurs, Hirayama est un rêveur. Il rêve en noir et blanc des plans semblables à ses photographies argentiques. Les arrêts sur image qu’il y opère combiné au format 4/3 choisi par Wenders renforcent les liens entre ses rêves et son activité de photographe amateur. Mais Hirayama est aussi un rockeur. Non pas au sens propre, car le personnage est un parfait introverti et ne chante ou ne joue d’aucun instrument. Mais pour autant, Hirayama est loin d’être un fantôme. Volontaire et presque toujours partant, il se laisse embarquer dans de nombreuses aventures au gré de ses rencontres. Il suit son collègue cherchant à conquérir son âme sœur à travers toute la ville, accepte d’héberger sa nièce qui a fugué, joue par coups de stylos interposés au morpion avec un utilisateur anonyme des toilettes qu’il nettoie… Ce qui peut nous paraître des actions minimes sont, pour ce personnage, des actes rocambolesques qui l’obligent à prendre sur lui et à se dépasser. 

Qu’il est bon de voir Wim Wenders revenir en force après de récents échecs critiques et publics consécutifs sur ses dernières fictions ! L’air du Japon réussit au cinéaste allemand qui, en citant Ozu dans les remerciements de Perfect Days – on se rappelle également de son documentaire Tokyo-ga, sait à quel point il fût bénéfique de s’imprégner des films du maître du cinéma japonais. Car en contant l’histoire du quotidien de ce travailleur de l’ombre, Wim Wenders conte surtout des histoires annexes, celles des personnages que Hirayama rencontre ou re-rencontre chaque jour. Ce sont les histoires de la bouquiniste, du cuisinier, de la barman, du SDF… Et surtout l’histoire de cet homme avec qui, au cours d’une nuit ou chacun joue littéralement avec l’ombre de l’autre, Hirayama échange sur la valeur d’une vie et sur ce qui l’a remplie. Parce que les “jours parfaits” du titre ne sont-ils tout simplement pas ceux que l’on vit au quotidien ? 

Perfect Days de Wim Wenders. Avec Koji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano…2h05
Sortie le 29 novembre 2023.

Présenté au festival de Sarlat 2023

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