Immense acteur des années 90 pour les plus âgé·es, has been à la ramasse pour les plus jeunes, Val Kilmer est autant l’icône d’une génération que sa carrière est une lente plongée vers l’oubli. Méconnaissable dans ses rôles les plus récents, beaucoup se demandent, même si on le voit de temps à autre, ce que l’acteur est devenu depuis l’intrigant Twixt de Francis Ford Coppola. Utilisant des images tournées par l’acteur lui-même tout au long de sa vie, Val se pose en témoin d’une carrière, d’une existence sous les projecteurs mais aussi dans l’intimité d’un homme qui se confie, se raconte.
Quelle chance pour le duo de réalisateurs souhaitant dresser le portrait de Val Kilmer que de découvrir que l’acteur s’est toujours baladé avec sa caméra, a filmé tant ses grands moments avec sa famille que les coulisses des films sur lesquels il a travaillé. Val jouit de cette manne visuelle, qui permet d’aborder nombre de moments pour accompagner le témoignage du comédien, qui se livre avec sincérité. Le documentaire alterne ces images d’archives, suivant chronologiquement sa carrière, et période actuelle, pour accompagner l’interview de Kilmer, nous montrant sa situation. Peu présent médiatiquement (hors États-Unis du moins) au-delà de ses apparitions dans les comic-con et autres événements du genre, nous découvrons un homme affaibli par le cancer dont il est en rémission, et par le fait qu’avec le trou qu’il a désormais dans la gorge, il ne pourra plus réellement parler. Une situation physique qui explique en partie sa disparition, autour de la débâcle hollywoodienne dont il fut “victime”.
Par des choix hasardeux, l’entraînant sur des tournages plus chaotiques qu’imaginé, ou tout simplement des refus de rôles qui lui ont valu un rejet catégorique des gros studios, on voit la carrière de Val Kilmer décoller, se dévoiler à travers des rôles cultes qu’on lui attribue encore – du cultissime Top gun au nanardesque Batman forever, qui a joui malgré tout d’un immense succès – puis se planter, enchaîner les rôles peu marquants ou manquant de consistance. Son refus de reprendre le rôle du justicier masqué a joué en sa défaveur, ainsi que le ratage complet que représente l’adaptation du Saint. Jamais deux sans trois, la nouvelle relecture de l’Île du docteur Moreau, qui voit évincer le talentueux Richard Stanley pour mettre à sa barre un John Frankenheimer lessivé, qui n’a pas envie d’être là, finit de plomber la carrière de l’acteur.
Pourtant, il en rigole. Voir ces moments archivés, où il montre sa complicité avec Marlon Brando, passant son tournage sur un hamac en attendant qu’on le pousse, et où il a clairement conscience que le film court à sa perte, montre le recul qu’il apporte à son ressenti, tout comme quand il parle de son métier d’acteur, d’à quel point il le prend à cœur, argument qui est plus propice au rejet qu’à l’acclamation au sein de la folie hollywoodienne. Celui qui essaie de bien faire sans jamais devenir infect sur ses tournages, qui critique uniquement le manque de liberté qu’un costume comme celui de Batman peut lui causer – et l’obsession de Schumacher pour la pose “Monsieur Propre” qu’il lui demande constamment de prendre, et qui rend l’acteur hilare – au point de ne plus avoir envie d’endosser le rôle jugé inintéressant, le fait devenir aux yeux des tabloïds un salopard perfectionniste qui fait des “crises”. Pourtant, comme on le voit dans les multiples interviews, et dans les moments filmés dans les coulisses des tournages, Val Kilmer est tout ce qu’il y a de plus facile à vivre, un acteur impliqué qui regrette juste qu’on ne le laisse pas s’exprimer comme ces rôles pourraient le réclamer. Comme le dit Robert Downey Jr dans l’un des extraits “Essayez juste de jouer correctement, et vous devenez un connard capricieux”. Un certain cynisme se dégage, sans que le portrait ne soit jamais à charge. L’acteur mentionne des “fausses bonnes idées” pour nombre de ces choix, et retient plus un manque de chance qu’une volonté réelle de lui nuire, même si certains éléments appuient ce sens.

Ce côté humble est d’autant plus éclairé par les instants de vie. Puisque l’acteur a manié sa caméra au quotidien depuis sa plus tendre enfance, on le voit grandir, évoluer dans son milieu familial bien éloigné des sphères riches et arrogantes que l’on prête souvent à ce type de personnages. Même sa cérémonie de mariage est d’une simplicité exemplaire, sans la moindre excentricité. On voit le portrait d’un homme drôle, toujours blagueur malgré les épreuves de maladie qu’il a traversées, et on ne peut qu’être empathique à son égard. Le nombre de documents archivés, le présentant toujours sous l’angle de ce grand enfant qui s’amuse, permet une certaine objectivité, qui ne semble que peu orientée dans son portrait – même s’il reste toujours des zones d’ombre, et qu’il reste d’un point de vue à sens unique.
Parmi les documentaires présentant des portraits d’artistes, Val se démarque par sa construction originale. Sans prendre un angle concret qui cherche à défendre outre-mesure la carrière d’un acteur qui n’a pas toujours eu les rôles qu’il semble mériter, il dresse avant tout le témoignage d’une vie, dans les joies et douleurs, toujours avec recul et légèreté. On en sort avec l’envie de se replonger dans ses partitions, l’envie de revoir l’immense The Doors d’Oliver Stone, mais aussi le plaisant Kiss kiss bang bang de Shane Black, se rappeler que tout cela n’est que du jeu, une fantaisie qu’il vaut mieux ne pas toujours prendre au sérieux.
Val, de Ting Poo et Leo Scott… 1h48